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Débats du Sénat (Hansard)

Débats du Sénat (hansard)

2e Session, 36e Législature,
Volume 139, Numéro 7

Le mardi 16 novembre 1999
L'honorable Gildas L. Molgat, Président


LE SÉNAT

Le mardi 16 novembre 1999

La séance est ouverte à 14 heures, le Président étant au fauteuil.

Prière.

DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS

La Loi de 1968 modifiant le droit pénal

Le trentième anniversaire de son adoption

L'honorable Lucie Pépin: Honorables sénateurs, que les Canadiens et les Canadiennes en soient conscients ou non, l'adoption, le 14 mai 1969, de la Loi de 1968 modifiant le droit pénal, qui légiférait sur la contraception et l'avortement thérapeutique, a irrévocablement changé nos vies.

Pendant mes études comme jeune infirmière spécialisée en obstétrique et en gynécologie, j'ai travaillé comme bénévole auprès des femmes qui s'apprêtaient à accoucher à la maison. Dans les régions, avant l'entrée en vigueur de l'assurance-maladie, presques toutes les femmes accouchaient à la maison. Cinq enfants étaient considérés comme une petite famille.

Les complications pendant les accouchements n'étaient pas rares, et seuls les cas les plus graves se terminaient par un trajet sur la banquette arrière de la voiture du médecin jusqu'à l'hôpital le plus proche. Souvent, il était trop tard pour sauver le bébé ou pour pratiquer une césarienne.

Qui fallait-il sauver, le bébé ou la mère? L'enseignement de l'Église à l'époque était clair: sauver l'enfant. D'ailleurs, l'Église se prononçait nettement sur plusieurs questions: la femme commettait un péché si elle refusait d'avoir des relations sexuelles avec son mari ou si elle employait un autre moyen de contraception. L'État aussi était fort clair: la contraception était illégale, de même que l'avortement. Face à l'État et à l'Église, les femmes n'avaient aucun choix.

Pour beaucoup d'entre nous qui travaillions en gynéco-obstétrique, le statu quo était devenu insupportable et nous avons décidé de travailler en faveur du changement pour donner aux femmes l'accessibilité à la contraception.

[Traduction]

Le projet de loi C-150, plus connu sous le nom de «projet de loi omnibus», a été adopté en 1969. Il a accompli bien des choses pour une foule de gens. Pour reprendre l'expression de l'ancien premier ministre Pierre Elliott Trudeau, il a amorcé le processus consistant à bouter l'État hors des chambres à coucher des gens. La préférence sexuelle, les choix de méthodes de reproduction et les ébats amoureux étaient ainsi relégués au domaine privé, à condition que cela se fasse entre adultes consentants. Pour les femmes, les perspectives ouvertes étaient drôlement plus grandes. Il était désormais possible de faire des choix. Les femmes acquéraient enfin un minimum de contrôle sur leur propre vie, laquelle ne se réduisait plus à une série interminable de grossesses, de risques pour la santé et d'enfants trop nombreux pour leurs capacités financières. Cette nouvelle liberté a servi de tremplin pour les nombreuses autres libertés et options qui ont modifié le rôle des femmes dans notre société: l'estime de soi, l'éducation, l'emploi, une voix au chapitre et la responsabilisation.

Honorables sénateurs, je suis très fière d'avoir pu participer à ce processus et d'avoir pu constater les réels changements qui se sont opérés grâce à nos efforts - efforts qui semblaient à la fois si naturels et si nécessaires. Il s'agit là d'une des entreprises les plus importantes de ma vie.

Que voilà un magnifique anniversaire à célébrer, et ce, pour plusieurs raisons. Tout d'abord pour la liberté que cela a insufflé dans la vie des hommes et des femmes, pour tout ce que cela a permis d'accomplir au Canada. Plus important encore, cet anniversaire prouve une fois de plus que le changement est possible, que les gens peuvent modifier des choses dans la vie d'autrui et que la détermination et la passion peuvent faire des merveilles. Célébrons donc et rendons hommage à tous les citoyens qui ont travaillé à l'éclosion des libertés découlant du projet de loi C-150.

[Français]

Le révérend père Émile Shoufani

L'honorable Pierre De Bané: Honorables sénateurs, j'ai l'honneur de vous faire part de la visite récente au Canada, du 10 au 25 octobre, du révérend père Émile Shoufani, directeur du séminaire Saint-Joseph et de l'école secondaire de Nazareth, et curé de Nazareth, en Israël.

Le père Shoufani, familièrement appelé Abouna Émile par tous, soit «père Émile» en arabe, est un homme et un prêtre profondément engagé dans son Église, l'Église melkite grecque catholique, dans sa communauté arabe et dans son pays, Israël. Le père Shoufani était au Canada l'invité du Centre d'action bénévole Émilie-Gamelin de Joliette, qui avait organisé un forum international sur «les âges de la vie» et le vieillissement, congrès qui a attiré un auditoire nombreux et qui a été une grande réussite à tous égards.

Je voudrais aussi remercier les membres du clergé, qui n'ont ménagé aucun effort pour que cette visite soit couronnée de succès. Je pense, entre autres, à Son Excellence Monseigneur Sleiman Hajjar, évêque des melkites grecs catholiques du Canada, au clergé de la paroisse Saint-Sauveur de Montréal, ainsi qu'à Mgr Habib Kwaiter, curé de la paroisse Saints Pierre et Paul d'Ottawa, et à son vicaire, le révérend père François Beyrouti.

Durant sa visite au Canada, le père Shoufani a eu des entretiens approfondis avec un si grand nombre de personnalités qu'il m'est impossible de les nommer toutes. Je me limiterai à mentionner les rencontres avec les personnalités suivantes: le premier ministre du Canada, le très honorable Jean Chrétien, le Président du Sénat, l'honorable Gildas L. Molgat, le ministre des Affaires étrangères, l'honorable Lloyd Axworthy, les hauts fonctionnaires du Conseil privé, soit le ministère du premier ministre, ainsi que les diplomates du ministère des Affaires étrangères responsables du Moyen-Orient.

Le père Shoufani a également prononcé plusieurs conférences sur la situation au Moyen-Orient, notamment devant le Middle East Discussion Group, ici même au Parlement, ainsi que devant le Conseil des relations internationales de Montréal. Il a traité de la nouvelle dynamique entre «Israéliens et Palestiniens à l'aube d'une ère nouvelle», et donné un grand nombre d'entrevues aux représentants des médias de la presse écrite, radiophonique et télévisée. Il a également abordé des sujets proprement religieux, notamment «l'avenir commun des chrétiens, des musulmans et des juifs», à l'Université Saint-Paul d'Ottawa et devant la communauté de Madonna House à Combermere, en Ontario, où il a rencontré l'ancien archevêque de Galilée, Mgr Joseph Raya, un homme exceptionnel que j'admire grandement. Le père Shoufani a également rencontré l'archevêque de Saint-Boniface, Mgr Antoine Hacault, ainsi que l'évêque de Joliette, Mgr Gilles Lussier.

L'un des moments les plus émouvants a sans aucun doute été la rencontre du père Shoufani avec le très honorable Pierre Elliott Trudeau, ancien premier ministre du Canada, qui a dominé la scène politique de notre pays durant tant d'années. Cette rencontre a eu lieu au moment où M. Trudeau célébrait ses 80 ans.

(1410)

Le père Shoufani n'a cessé de travailler à réconcilier et à unir tous les citoyens de son pays, Israël. Aussi a-t-il rencontré dans notre pays un grand nombre de Canadiens d'origine arabe, particulièrement ceux de Montréal et d'Ottawa. Il a également rencontré plusieurs personnalités éminentes de la communauté juive canadienne, ainsi que le Congrès juif, section du Québec, et il a rendu visite à l'école séfarade de langue française de Montréal, l'école Maimonide.

[Traduction]

Ce que je trouve le plus admirable chez le père Shoufani, c'est que son profond respect pour la vie ne peut être dissocié de sa conviction selon laquelle nous devons nous efforcer d'améliorer le sort de tous les êtres humains et que personne n'a le droit d'infliger des souffrances aux autres. L'approche positive du père Shoufani en matière de règlement des problèmes est remarquable. Celui-ci est toujours prêt à faire le premier pas. Il s'efforce toujours de comprendre les rêves et les idées des autres et de manifester de l'empathie à leur égard.

Son Honneur le Président: Sénateur De Bané, vos trois minutes sont écoulées. Demandez-vous l'autorisation de poursuivre?

Le sénateur De Bané: Oui.

Son Honneur le Président: L'autorisation est-elle accordée, honorables sénateurs?

Des voix: D'accord.

Le sénateur De Bané: Honorables sénateurs, Émile Shoufani est né à Nazareth en 1947. En tant que chrétien d'origine arabe dans l'État d'Israël, Émile Shoufani a passé 52 années à montrer, dans sa vie et son travail, qu'il est possible de mettre un terme à des siècles d'opposition et de violence. Sa vie est un testament à la coexistence pacifique des juifs, des Arabes, des musulmans et des chrétiens dans une région qui a désespérément besoin d'un modèle de paix et de réconciliation.

Émile Shoufani a appris par le biais de tragédies personnelles le sens véritable du pardon et du respect pour les autres. Il est un modèle pour tous. Son grand-père et son oncle ont été tués durant la guerre de 1948, lors de la déportation de villageois à Eilabun. Sa grand-mère, qui a perdu son mari et un fils, a enseigné le pardon à son petit-fils.

Émile, l'aîné des enfants de Hanna et Marie Shoufani, a grandi à Nazareth. Ses parents étaient pauvres mais travailleurs. Il a grandi au sein de la minorité arabe qui est restée dans le nouvel État d'Israël. Les difficultés auxquelles il a dû faire face au cours de cette période de sa vie ont enseigné à Émile que l'humilité est une vertu, mais non la pauvreté.

Rebelle durant son adolescence au séminaire Saint-Joseph, Émile prit profondément conscience de la valeur de la vie tout en ressentant le besoin de faire une différence. Il décida de devenir prêtre.

Alors qu'il vivait à Paris, de 1964 à 1971, à la suite de ses études en philosophie et théologie, Émile Shoufani a lu Treblinka, par Jean-François Steiner. Cela l'a conduit à en apprendre davantage sur l'Holocauste, à visiter Dachau et il est revenu chez lui après avoir subi une transformation spirituelle, en ayant un point de vue tout à fait différent.

Ordonné prêtre de l'Église grecque melkite catholique grecque en 1971, il a dit ceci dans son premier sermon:

Je sens en moi une foi inébranlable dans le Christ et je veux partager ma vie avec tous... Je veux être le prêtre de tout le monde.

Très tôt au cours de son ministère, en tant que pasteur de divers villages de Galilée, Abouna Émile est devenu connu comme un médiateur, pas seulement pour le règlement des différends entre les communautés religieuses chrétienne, mulsumane et druze, mais en tant qu'ardent défenseur d'une véritable coexistence qui ne se limite pas simplement à vivre côte à côte, mais à vraiment partager une vie commune.

Lorsque l'évêque lui a confié la direction du séminaire et école secondaire St-Joseph, en 1976, Abouna Émile s'était déjà gagné la confiance de tous les gens de la région. Le fait que de nombreux parents de nombreuses communautés religieuses lui confient leur enfant montre l'ampleur de la confiance et du respect qu'il s'est gagnés dans ces quartiers.

En 1976, le séminaire St-Joseph avait 200 élèves et était sur le point de fermer. Le père Émile a décidé de relever le défi, d'essayer de maintenir l'école ouverte avec une volonté renforcée par sa foi. Il a essayé de réaliser deux objectifs. Il s'agissait tout d'abord de refaire de St-Joseph une école de première classe tournée vers l'excellence. Il a ensuite sensibilisé une nouvelle génération d'étudiants à leurs histoires et identités distinctes, tout en obtenant de leur part un engagement total à l'égard de leur intégration à l'État d'Israël.

Sa première bataille a consisté à attirer un personnel qualifié et dynamique partageant sa vision selon laquelle l'école doit non seulement éduquer, mais également développer toute la personne, «l'élève en tant que personne passant au premier plan».

Son deuxième exploit révolutionnaire a consisté à transformer l'école en un établissement mixte ouvert à toutes les religions, aux deux sexes et à différentes cultures. Selon lui:

St-Joseph n'est pas une école chrétienne qui accepte les musulmans et les druzes, mais une école où les chrétiens, les musulmans et les druzes vivent ensemble.

De concert avec le corps professoral, Émile Shoufani cherchait constamment à atteindre des normes d'enseignement élevées. Voici ce que disait le père Shoufani:

Nous devons former les 20 000 à 30 000 universitaires arabes dont le pays a besoin.

Dix ans plus tard, l'école est en mesure de soutenir la concurrence des meilleures écoles en Israël. Quatre-vingt quinze pour cent des élèves obtiennent leur diplôme et 90 p. 100 d'entre eux sont acceptés dans des universités israéliennes. Aujourd'hui, l'école compte 1 200 élèves et, chaque année, de 120 à 130 élèves des deux sexes reçoivent leur diplôme.

Émile Shoufani manifeste toujours le même dynamisme révolutionnaire qu'il y a 24 ans. Il continue de se préoccuper des nominations à l'effectif et au conseil d'administration de l'école.

En 1989, après avoir établi les points forts et la réputation de l'école sur le plan scolaire, le père Émile a décidé de se consacrer à son deuxième objectif, soit un projet-pilote de dialogue avec la «Lyada», une école juive de premier plan relevant de l'université hébraïque de Jérusalem, afin de «donner à nos jeunes les outils dont ils ont besoin pour assurer leur pleine intégration dans l'État d'Israël tout en conservant leur identité.»

Un programme d'échanges d'une durée de trois ans ouvert aux jeunes d'origine arabe et juive a été lancé. Dans le cadre de celui-ci, les élèves apprennent «à rencontrer les autres, à faire tomber les préjugés, à discuter de leurs droits de façon démocratique et à travailler ensemble à l'instauration de la paix.» Bien que cet exercice soit toujours douloureux et libérateur, les deux écoles estiment maintenant que ce programme est indispensable. Aujourd'hui, la mission du séminaire St-Joseph consiste à assurer l'«éducation au service de la paix».

Le père Shoufani a déclaré souvent:

J'estime appartenir à ce pays à l'histoire longue et variée, en qualité d'Arabe, de chrétien et d'Israélien. Ces différences ne me posent pas de problèmes. Grâce à ma foi, j'ai une vision universelle me permettant de transcender les limites individuelles et de mieux écouter mes frères.

En terminant, j'ajoute que le père Shoufani était accompagné durant sa visite dans notre pays par Mme Soad Haddad, que j'ai le privilège de connaître depuis plus de dix ans. Mme Soad Haddad est remarquable dans la mesure où, autant qu'elle puisse se souvenir, elle a toujours senti qu'elle appartenait davantage à la grande collectivité humaine qu'à une famille particulière. L'existence a toujours été pour elle liée au sentiment d'être en mission. C'est ce qui l'a amenée à se libérer complètement afin de se consacrer à ses tâches actuelles. Elle travaille côte à côte avec le père Émile depuis plus de 20 ans au service de l'Église grecque melkite catholique et de la communauté arabe de l'État d'Israël.

En fin de compte, honorables sénateurs, nous sommes chacun d'entre nous confrontés à deux grandes options. La première consiste à insister sur les différences entre les gens. Cela est facile et nous pouvons voir à quels conflits tragiques cela nous a conduits au cours du vingtième siècle. La seconde option, au contraire, est de mettre l'accent sur ce qui unit les gens de différents groupes socio-économiques, de religions distinctes et aux antécédents différents. Cette seconde option est certes beaucoup plus difficile, mais c'est aussi la plus généreuse, la plus fraternelle, la plus moderne, celle qui va dans le sens de l'histoire qui est une solidarité de plus en plus grande entre tous les peuples de la planète, celle à laquelle tous les gens de bonne volonté devraient communier.

Il est rare de rencontrer un homme comme le père Shoufani, doté d'une telle vision et d'un tel courage.

Ce fut un grand honneur pour moi, qui suis né dans son pays, de l'accompagner ainsi que son adjointe, la très compétente Mme Soad Haddad, durant leur visite au Canada.

Le groupe d'experts sur l'accès aux données historiques du recensement

L'honorable Lorna Milne: Honorables sénateurs, j'ai le grand plaisir d'attirer l'attention de cette Chambre sur une annonce faite récemment par l'honorable John Manley, ministre de l'Industrie et ministre responsable de Statistique Canada.

Vendredi dernier, le ministre Manley a annoncé la création d'un groupe d'experts sur l'accès aux données historiques du recensement. Le groupe en question fera rapport au ministre d'ici le 31 mai 2000 et recommandera une approche permettant d'établir un juste milieu entre la nécessité de protéger la vie privée et les demandes d'accès des généalogistes, historiens et archivistes aux données historiques de recensement.

Comme les honorables sénateurs le savent, je fais pression au Parlement en ce sens depuis maintenant plus d'un an. Je suis ravie que le ministre ait adopté une approche proactive à l'égard de cette question et ait nommé un groupe d'experts composé de cinq personnes hautement respectées, dont notre ancienne collègue, l'honorable Lorna Marsden.

Il est à espérer que ce groupe trouvera des moyens novateurs pour réussir un heureux compromis entre les impératifs de la protection de la vie privée et ceux de la découverte du patrimoine canadien.

(1420)

Le ministre Manley a été sensible à mes démarches; il a pris bonne note de la correspondance des généalogistes, historiens et archivistes canadiens, et il vient de prendre les premières dispositions pour répondre à nos préoccupations, notamment en instituant ce groupe. C'est là le fruit du travail accompli par les associations d'historiens et de généalogistes qui ont sensibilisé l'opinion publique à la question et lui ont permis d'exprimer son avis.

Je suis impatiente de prendre connaissance du rapport que ce groupe nous présentera à la nouvelle année.

[Français]

La Loi sur les langues officielles

Le trentième anniversaire de sa proclamation

L'honorable Jean-Robert Gauthier: Honorables sénateurs, j'aimerais souligner le trentième anniversaire de la Loi sur les langues officielles, dont la proclamation a eu lieu le 1er juillet 1969.

Cette loi, qui est appuyée par une grande majorité de Canadiens, a permis d'accomplir des progrès au sein de la fonction publique en ce qui a trait à la langue de services et à la représentation équitable. Il faut cependant reconnaître qu'il nous reste beaucoup de chemin à parcourir en ce qui a trait à la langue de travail.

Il me faut souligner, pour expliquer les succès de la loi, l'apport important du Commissariat aux langues officielles, des commissaires qui s'y sont succédé et du comité mixte permanent sur les langues officielles de la Chambre des communes et du Sénat.

Je demande à tous les Canadiens de continuer à respecter cette extraordinaire caractéristique du pays qu'est la dualité linguistique. La Loi sur les langues officielles confère à l'anglais et au français leur statut, leurs droits et privilèges en tant que langues du Parlement et du gouvernement du Canada.

Les provinces sont invitées à être généreuses envers la minorité linguistique. Quelques-unes le font de bon gré, d'autres se font tirer l'oreille.

Je suis bien conscient des nouveaux efforts qui doivent être entrepris pour conserver l'équité linguistique partout au pays, et ce, dans l'esprit et la lettre de la loi et surtout, dans le respect des lois qui nous régissent.

[Traduction]

Le Programme d'échange de pages avec la Chambre des communes

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, avant de passer à la prochaine question inscrite à l'ordre du jour, je voudrais vous présenter les pages qui ont bénéficié du programme d'échange de pages et qui nous viennent de la Chambre des communes.

[Français]

Rachelle Bédard étudie en sciences politiques à la faculté des sciences sociales de l'Université d'Ottawa. Elle est native de Gatineau, au Québec.

[Traduction]

Marie-Claire Raymond est originaire de Penetanguishene, en Ontario. Marie-Claire poursuit des études à la faculté de sciences sociales de l'Université d'Ottawa et compte se spécialiser en sciences politique et en espagnol.

[Français]

De la part de tous les sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat. Nous espérons que votre semaine avec nous sera agréable et intéressante.


[Traduction]

AFFAIRES COURANTES

Le budget des dépenses de 1999-2000

Dépôt du budget supplémentaire (A)

L'honorable Dan Hays (leader adjoint du gouvernement) dépose le Budget supplémentaire (A) pour l'exercice se terminant le 31 mars 2000.

[Français]

Les communauté francophones et acadiennes hors Québec

Dépôt du rapport sur la détérioration des services en français

L'honorable Jean-Maurice Simard: Honorables sénateurs, je voudrais déposer le rapport qui fait état de la structure qui prévaut présentement vis-à-vis le développement et l'épanouissement des communautés francophones et acadiennes, de la détérioration progressive, du désengagement des gouvernements au cours des 10 dernières années et de la perte d'accessibilité des services en français.

Mon rapport est intitulé: «De la coupe aux lèvres: un coup de coeur se fait attendre», et il est déposé dans les deux langues officielles.

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, je ne peux pas accepter le dépôt d'un document d'un sénateur à moins d'un consentement unanime de la part du Sénat. Est-ce qu'il y a consentement unanime?

Des voix: D'accord.

L'ajournement

L'honorable Dan Hays (leader adjoint du gouvernement): Honorables sénateurs, avec la permission du Sénat et nonobstant l'article 58(1)h) du Règlement, je propose:

Que, lorsque le Sénat s'ajournera aujourd'hui, il demeure ajourné jusqu'à demain, le mercredi 17 novembre 1999, à 13 h 30.

Son Honneur le Président: La permission est-elle accordée, honorables sénateurs?

Des voix: D'accord.

(La motion est adoptée.)

[Traduction]

Le budget des dépenses de 1999-2000

Avis de motion autorisant le comité des finances nationales à étudier le budget supplémentaire (A)

L'honorable Dan Hays (leader adjoint du gouvernement): Honorables sénateurs, je donne avis que demain, le mercredi 17 novembre 1999, je proposerai:

Que le Comité sénatorial permanent des finances nationales soit autorisé à étudier, afin d'en faire rapport, les dépenses projetées dans le Budget supplémentaire (A) pour l'exercice se terminant le 31 mars 2000, à l'exception du crédit 10a du Parlement et du crédit 25a du Conseil privé.

[Français]

Avis de motion portant renvoi du crédit 25a au comité mixte permanent des langues officielles

L'honorable Dan Hays (leader adjoint du gouvernement): Honorables sénateurs, avec la permission du Sénat et nonobstant l'alinéa 58(1)f) du Règlement, je propose:

Que le comité mixte permanent des langues officielles soit autorisé à étudier les dépenses projetées au crédit 25a du Conseil privé contenu dans le Budget supplémentaire des dépenses (A), pour l'exercice se terminant le 31 mars 2000; et

Qu'un message soit transmis à la Chambre des communes pour l'en informer.

[Traduction]

Avis de motion portant renvoi du crédit 10a au comité mixte permanent de la Bibliothèque du Parlement

L'honorable Dan Hays (leader adjoint du gouvernement): Honorables sénateurs, je donne avis que demain, le mercredi 17 novembre 1999, je proposerai:

Que le Comité mixte permanent de la Bibliothèque du Parlement soit autorisé à étudier les dépenses projetées au crédit 10a du Parlement contenu dans le Budget supplémentaire des dépenses (A) pour l'exercice se terminant le 31 mars 2000; et

Qu'un message soit transmis à la Chambre des communes pour l'en informer.

Affaires étrangères

Avis de motion autorisant le comité à reporter la date de dépôt de son rapport final sur la modification du mandat de l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord

L'honorable John B. Stewart: Honorables sénateurs, je donne avis que demain, le mercredi 17 novembre 1999, je proposerai:

Que, par dérogation à l'ordre adopté par le Sénat le jeudi 14 octobre 1999, le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères, autorisé à examiner pour en faire rapport les ramifications pour le Canada: 1) de la modification apportée au mandat de l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord (OTAN) et au rôle du Canada dans l'OTAN depuis la dissolution du pacte de Varsovie, de la fin de la guerre froide et de l'entrée récente dans l'OTAN de la Hongrie, de la Pologne et de la République tchèque; et 2) du maintien de la paix, surtout la capacité du Canada d'y participer sous les auspices de n'importe quel organisme international dont le Canada fait partie, soit habilité à présenter son rapport final au plus tard le 15 décembre 1999; et

Que le Comité conserve les pouvoirs nécessaires à la diffusion des résultats de son étude contenus dans son rapport final, et ce jusqu'au 24 décembre 1999; et

Que le Comité soit autorisé, nonobstant les pratiques habituelles, à déposer son rapport auprès du greffier du Sénat, si le Sénat ne siège pas, et que ledit rapport soit réputé avoir été déposé au Sénat.


(1430)

PÉRIODE DES QUESTIONS

Le solliciteur général

Le Service canadien du renseignement de sécurité-La perte de documents classifiés-L'examen du comité de surveillance des activités du renseignement de sécurité

L'honorable Noël A. Kinsella (chef adjoint de l'opposition): Honorables sénateurs, j'ai une question à l'intention du leader du gouvernement au Sénat. Les médias partout au Canada ont rapporté un malheureux incident dont a été victime une agente du SCRS qui a laissé un document à caractère secret sur la banquette arrière de sa voiture alors qu'elle assistait à une partie de hockey à Toronto. Le ministre pourrait-il nous dire quel était la cote de sécurité attachée à ce document?

L'honorable J. Bernard Boudreau (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, je remercie l'honorable sénateur de cette question. Il a évidemment été porté à la connaissance du public par les médias, et par la suite confirmé par le ministre à la Chambre des communes, qu'un manquement assez grave au protocole de sécurité avait été commis par une employée du SCRS. La direction du SCRS examine actuellement cette affaire.

Quant à la cote de sécurité attachée au document en question, je devrai déterminer si je puis obtenir cette information pour l'honorable sénateur.

Le sénateur Kinsella: Je remercie l'honorable sénateur de s'engager à le faire. Il s'agit de savoir si ce document était très secret, secret ou confidentiel.

Le Parlement a institué le comité de surveillance des activités du renseignement de sécurité. Le Parlement a donné à ce comité civil le mandat légal de surveiller les activités du SCRS. Est-il vrai que c'est uniquement par la voie des journaux que la présidente du CSARS a entendu parler de ce manquement, alors que le solliciteur général en avait eu connaissance depuis un certain temps - avant même que les journaux n'en fassent état?

Le sénateur Boudreau: Les honorables sénateurs comprendront que je ne saurais pas normalement comment l'inspecteur général du SCRS a été mis au courant de cette affaire, ni comment le CSARS l'a été. Cependant, le ministre a dit à l'autre endroit qu'il en avait été informé il y a deux ou trois semaines. Je pense qu'il est assez clair que le CSARS en a été informé quelque temps plus tard.

En fait, je puis dire aux honorables sénateurs que le SCRS et l'inspecteur général du SCRS font enquête dans cette affaire au moment où je vous parle. De plus, le CSARS a lui aussi entrepris un examen à cet égard de sa propre initiative. Comme les honorables sénateurs, je suis impatient d'obtenir un rapport à ce sujet, et je serai heureux d'en faire connaître les détails.

[Français]

L'honorable Jean-Claude Rivest: Le ministre pourrait-il nous dire s'il existe une règle des services secrets quant à la manutention des documents? Est-ce qu'une personne ou un agent peut tout simplement se promener avec des documents? Existe-t-il une procédure qui n'aurait vraisemblablement pas été suivie dans ce cas?

Le ministre nous dit que le gouvernement fédéral essayera de faire enquête pour voir exactement ce qui s'est passé. Le ministre peut-il être plus spécifique quant à la nature de l'enquête à venir face à ce malencontreux incident?

[Traduction]

Le sénateur Boudreau: Honorables sénateurs, il est évident qu'il y a eu infraction à la sécurité. La personne en question sera soumise à une enquête menée à la fois par le SCRS et par le CSARS. Comme doit le savoir l'honorable sénateur, le CSARS est le comité indépendant de surveillance externe qui a entrepris cette tâche. Je suis certain que ces deux organismes s'acquitteront de leurs responsabilités avec toute la diligence et la rapidité voulues et qu'ils produiront un rapport plus détaillé des événements qui se sont produits.

[Français]

Le sénateur Rivest: Honorables sénateurs, évidemment, il y a des inconvénients sur le plan interne. Le Canada et le Service canadien du renseignement de sécurité collaborent avec de très nombreux pays à travers le monde. Le ministre et le gouvernement sont-ils conscients que cet incident risque d'entacher très sérieusement la crédibilité des services secrets canadiens?

[Traduction]

Le sénateur Boudreau: Honorables sénateurs, heureusement, cet incident semble être isolé. Bien que ce dernier soit regrettable et qu'on ne puisse nier la gravité de ces événements, j'espère qu'ils n'auront pas de répercussions sensibles sur nos relations avec les autres pays, particulièrement nos alliés.

Le sénateur Kinsella: Honorables sénateurs, le ministre pourrait-il nous dire pourquoi il a fallu deux semaines entières au solliciteur général pour prévenir le comité qui, selon le ministre, va maintenant faire enquête sur cette affaire? Pourquoi attendre deux semaines? N'y a-t-il pas un sentiment de responsabilité dans l'esprit des ministériels quand ils sont mis au courant d'une affaire comme celle-ci? Le Parlement a créé un comité chargé d'enquêter sur ce genre de situation et, pourtant, le ministère du Solliciteur général a laissé traîner les choses pendant deux semaines entières.

Le sénateur Boudreau: Honorables sénateurs, je peux rien dire de précis sur la question des délais car je ne sais pas exactement quand l'information a été transférée. Toutefois, je crois comprendre que l'inspecteur général du SCRS a immédiatement pris l'affaire en main et s'en occupe comme il le doit.

Le rôle du CSARS est d'enquêter sur des activités comme celles que mènerait l'inspecteur général dans le cadre de cette affaire. Je ne sais pas exactement à quel moment le CSARS interviendrait.

[Français]

L'honorable Roch Bolduc: Honorables sénateurs, il y a quelques années, nous avons eu des problèmes suite à une fuite du budget du ministre des Finances. Finalement, tout le monde était au courant et le ministre a dû prononcer un discours rapide.

Y a-t-il une procédure gouvernementale qui assure la confidentialité des documents? S'il existe une procédure, a-t-elle plusieurs degrés de qualité? Par exemple, nous savons tous que le budget du ministre des Finances et les questions de sécurité nationale sont très secrets.

[Traduction]

Le sénateur Boudreau: Honorables sénateurs, je suis persuadé qu'il existe diverses classifications de sécurité pour les documents du SCRS. Je ne connais pas en détail tous les niveaux de sécurité, mais je ferai de mon mieux pour obtenir ce renseignement pour le sénateur.

[Français]

Le sénateur Bolduc: Honorables sénateurs, je vais revenir à la charge parce que récemment, nous nous sommes laissé dire, au sujet des transactions avec les Américains en matière de défense, que nous étions plus ou moins fiables. Les Américains ne voudraient plus transiger avec nous et nous accorder certains permis pour des équipements pour la défense parce que nous aurions la réputation de n'être pas assez fiables. C'est gênant de se faire dire cela par nos voisins, surtout lorsque nous entretenons avec eux de bonnes relations en général. Le ministre pourrait-il porter à l'attention du ministre de la Défense nationale cette question de la plus haute importance? Nous devons faire quelque chose à ce sujet car vous pouvez imaginer qu'une telle affaire n'aide pas les relations entre nos deux pays.

[Traduction]

Le sénateur Boudreau: Honorables sénateurs, je suis tout à fait disposé à transmettre les préoccupations des sénateurs quant à la nature de cet incident. Je soulignerai l'importance qu'accordent les sénateurs à cette malheureuse série d'événements. Toutefois, je ne suis pas certain de partager l'avis exprimé par l'honorable sénateur dans le préambule de sa question. La question de l'ITAR fait partie d'une catégorie différente.

Il est certainement inquiétant de constater qu'une information ou un document protégé n'est pas manipulé avec toutes les précautions nécessaires comme ce fut le cas pour ce document. Une enquête est en cours, menée à la fois par le SCRS à l'interne et par le CSARS. Je suis persuadé que les mesures correctives qui s'imposent seront prises et que la personne en cause fera l'objet des mesures qui s'imposent.

La justice

La possibilité de protéger davantage les gens contre la violence

L'honorable Herbert O. Sparrow: Honorables sénateurs, j'ai une question à poser au leader du gouvernement au Sénat. Les Canadiens de tout le pays sont préoccupés par la violence qui a cours entre les jeunes. Une autre préoccupation est mise en évidence par un article qui a été publié récemment par un journal de Vancouver sur le fait qu'un autre cas de saucissonnage en Colombie-Britannique avait coûté la vie à une dame âgée.

Il semble que les personnes âgées sont peu ou prou à l'abri dans leur maison. Cela est d'autant plus vrai dans les régions rurales, où les maisons ne sont pas à la portée de la surveillance policière. Il semble que ces personnes ne peuvent rien faire pour se protéger contre ces crimes. Je ne tiens pas à soulever la question du contrôle des armes à feu, mais il fut un temps où la collectivité agricole se protégeait au moyen de fusils de chasse. On ne s'attaquait pas aux agriculteurs de peur d'être blessé. Le Code criminel interdit de se servir de brouillard de poivre pour se protéger. Les habitants des localités rurales et, désormais, les habitants des régions urbaines n'ont pas d'autres moyens de se protéger et ils sont absolument terrifiés par toutes ces histoires de saucissonnage, d'effraction, de viol et de meurtre dont ils entendent parler.

Si le ministre ne connaît pas le dossier pour l'instant, peut-être pourrait-il en discuter avec ses collègues, notamment le ministre de la Justice. Des mesures sont-elles en préparation, qui pourraient aider les personnes dont on exploite la faiblesse à se protéger elles-mêmes?

Bien des gens n'ont pas les moyens d'entourer leur propriété de clôtures ni d'avoir des gardiens de sécurité. Ces personnes sont laissées à elles-mêmes et elles sont les victimes des criminels de notre société.

L'honorable J. Bernard Boudreau (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, les problèmes décrits par le sénateur Sparrow nous remplissent tous d'indignation. Le Code criminel permet aux tribunaux de se montrer très sévères envers les auteurs de ces crimes. Je comprends néanmoins les inquiétudes exprimées par le sénateur.

Le problème tient peut-être en partie à l'évolution des relations familiales, au cours des dernières décennies. À une époque, une famille rurale ou agricole pouvait compter devenir une famille élargie, si bien que les personnes âgées étaient moins souvent livrées à elles-mêmes, loin des autres membres de la famille. C'est une hypothèse, mais je crois que, si nous comparions la situation actuelle à celle d'il y a 30 ans, nous constaterions qu'il y a aujourd'hui beaucoup plus de personnes âgées qui vivent seules au lieu de faire partie d'une famille élargie. La protection que le sénateur demande est peut-être, pour cette seule raison, plus nécessaire de nos jours.

J'ai pris connaissance de données statistiques selon lesquelles le nombre de crimes violents serait à la baisse dans l'ensemble de la population. Il faut toujours voir ces données d'un oeil critique, mais il est certain que, pour les victimes agressées chez elles, surtout lorsqu'il s'agit de personnes âgées, le problème demeure grave. Je vais certainement faire part à mes collègues du Cabinet des inquiétudes et de la question de l'honorable sénateur.

L'Agriculture et l'agroalimentaire

La crise agricole au Manitoba et en Saskatchewan-La possibilité d'un programme de crédit agricole

L'honorable Leonard J. Gustafson: Honorables sénateurs, je voudrais poser au leader du gouvernement au Sénat une question sur la crise agricole, qui semble s'aggraver de jour en jour.

Le 2 novembre 1999, j'ai demandé au ministre si le gouvernement était disposé à apporter des rajustements au crédit agricole afin de venir en aide à certains agriculteurs qui sont incapables d'acquitter leurs dettes. Le leader du gouvernement du Sénat a semblé bien accueillir ma suggestion, en déclarant notamment que ces questions faisaient déjà l'objet de discussions, mais qu'il ne voulait pas violer la confidentialité du Cabinet.

Sait-on, à ce stade-ci, ce que le gouvernement a l'intention de faire en ce qui concerne le crédit agricole? Voilà bien un domaine où le gouvernement pourrait donner l'exemple aux banques et aux coopératives de crédit.

L'honorable J. Bernard Boudreau (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, je regrette de ne pouvoir donner de réponse plus précise pour le moment. Depuis la dernière fois que nous avons abordé cette question, le gouvernement fédéral a accordé une somme supplémentaire de 170 millions de dollars au programme ACRA afin d'aider davantage les agriculteurs.

À ce moment-là, nous ne savions pas au juste comment allaient réagir les gouvernements provinciaux. Nous ne savions pas s'ils accepteraient de verser leur part, correspondant à 40 p. 100 de cette somme, le gouvernement fédéral contribuant 60 p. 100 des fonds, comme il l'avait fait pour le programme original. À moins que la situation ait changé récemment, on m'a informé que les provinces n'avaient pas accepté de verser plus d'argent. Les gouvernements de la Saskatchewan et du Manitoba ont tous deux déclaré officiellement qu'ils refusaient d'accroître leur contribution financière. L'honorable sénateur sait peut-être si la situation a évolué depuis.

J'ai du mal à comprendre cette réaction. Les deux premiers ministres provinciaux sont venus à Ottawa pour décrire la gravité de la situation et la nécessité d'une aide immédiate. En fait, au cours des quelques cinq dernières années, l'aide que les deux gouvernements provinciaux ont accordée à leurs agriculteurs a été considérablement réduite.

(1450)

Lorsqu'ils ont exigé avec insistance que le gouvernement fédéral intervienne, celui-ci a versé 170 millions de dollars dans le programme. Ce n'était peut-être pas tout ce que les agriculteurs voulaient, mais c'était assurément une mesure positive. Cependant, il semble que les réactions des gouvernements du Manitoba et de la Saskatchewan aient laissé à désirer.

Le sénateur Gustafson: Honorables sénateurs, le ministre ne répond pas à ma question au sujet du crédit agricole, qui est une responsabilité du gouvernement fédéral. Cette responsabilité n'est pas partagée avec les gouvernements provinciaux. Il s'agit de fonds avancés par le gouvernement fédéral.

Quoi qu'il en soit, en ce qui concerne le programme ACRA, dans la région où j'habite, les gens qui reçoivent des fonds dans le cadre de ce programme sont financièrement à l'aise. Ils ont des puits de pétrole sur leurs terres ou gagnent un très bon revenu d'autres sources. Ils n'ont pas été obligés de diversifier leurs cultures. Les agriculteurs qui ont besoin d'argent n'en reçoivent pas. Je voudrais qu'on mène une enquête pour savoir qui reçoit l'argent. Les familles pauvres qui ont besoin de l'argent ne le reçoivent pas. C'est ce que m'ont dit des agriculteurs de toute la Saskatchewan.

Pour revenir à la Société du crédit agricole, le gouvernement prévoira-t-il un allégement de la dette contractée auprès de cette société? La Société du crédit agricole n'est pas une responsabilité partagée avec les provinces; elle relève uniquement du gouvernement fédéral.

Le sénateur Boudreau: Honorables sénateurs, je n'essaie pas d'éluder la question du sénateur. Je ne peux y répondre aujourd'hui. De toute évidence, ce dossier est entre les mains du ministre. Dès que je serai en mesure de donner une réponse définitive, je serai très heureux de le faire.

Honorables sénateurs, les deux gouvernements provinciaux en cause ont ardemment exprimé, à Ottawa et ailleurs, une profonde inquiétude pour les agriculteurs. Ils ne cherchent pas d'excuses lorsqu'ils affirment que le programme ne fonctionne pas parfaitement bien. Nous le savons. Les sénateurs des deux côtés l'ont affirmé durant le débat spécial tenu à la demande de l'honorable sénateur Gustafson. Cependant, le programme n'a pas été conçu par le seul gouvernement fédéral. Il a été élaboré en coopération avec les deux gouvernements qui maintenant, après leur intervention spectaculaire, refusent de s'engager véritablement. S'ils n'aimaient pas le programme, ils auraient pu proposer des améliorations. Le ministre de l'Agriculture essaie d'améliorer l'efficacité du programme. Cependant, le fait que celui-ci ne soit pas parfait n'excuse aucunement la conduite de ces deux premiers ministres.

Le Programme d'aide en cas de catastrophe liée au revenu agricole-L'efficacité du programme

L'honorable Herbert O. Sparrow: Honorables sénateurs, le gouvernement de la Saskatchewan a consacré 200 millions de dollars au programme, mais cette somme n'est pas dépensée car le gouvernement fédéral ne débourse pas sa part de l'argent. Il y a donc des sommes en attente, mais le gouvernement fédéral n'a aucun plan qui permettrait de distribuer cet argent.

Le leader du gouvernement au Sénat a parlé d'un montant additionnel de 170 millions de dollars. Cette somme est destinée à tout le Canada et non à la seule région touchée par le problème dont il est question. Le ministère lui-même a déclaré qu'il ajouterait certaines sommes aux subventions déjà accordées. Par conséquent, il ne vient pas en aide à la majorité des agriculteurs qui n'ont rien reçu et dont les demandes, dans certains cas, sont empilées sur les pupitres depuis six mois.

Les gouvernements de la Saskatchewan et du Manitoba ont versé les sommes qu'ils devaient contribuer au programme. Le leader a déclaré que les gouvernements avaient accepté de le faire. On nous dit sans cesse que les gouvernements et les organisations agricoles se sont entendus sur ce point. Cependant, ce n'est pas le cas. Ce qui avait été proposé a été accepté, mais le programme mis en oeuvre était bien différent et les provinces ont dit que ce n'était pas le programme qu'elles avaient approuvé. La Fédération canadienne de l'agriculture et tous les agriculteurs ont dit que ce n'était pas le programme accepté à l'origine. Ils vont s'opposer à ce programme car l'argent n'est pas versé à ceux qui en ont besoin.

Monsieur le ministre, vous pouvez certainement dire que nous en avons discuté au Sénat et avec l'importante délégation qui est venue nous rencontrer et que cela ne fonctionne pas. Le comité sénatorial de l'agriculture et le comité permanent de l'agriculture de la Chambre des communes savent que tel est le cas, mais nous persistons à dire que ce n'est pas de notre faute.

Le leader du gouvernement au Sénat demandera-t-il au ministre de l'Agriculture de nous dire enfin si le gouvernement entend faire quelque chose, pour que nous puissions nous retirer dignement?

Des voix: Bravo!

L'honorable J. Bernard Boudreau (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, comme les sénateurs des deux côtés l'ont dit au cours du débat d'urgence, le programme ne fonctionne pas bien et doit être modifié. On en a convenu généralement et le message a été clairement transmis. Je ne voudrais pas laisser entendre que ce n'était pas le cas.

Honorables sénateurs, je dis qu'il y avait là une occasion pour les provinces de faire une contribution importante. Tous les sénateurs peuvent bien penser que 170 millions de dollars, ce n'était pas assez, mais c'est une contribution concrète et, à mon avis, les deux provinces auraient dû en fournir autant.

L'efficacité des programmes d'aide-La survie des jeunes agriculteurs

L'honorable Terry Stratton: Honorables sénateurs, ma question s'adresse au leader du gouvernement au Sénat. Les agriculteurs meurent à petit feu actuellement. Ceux qui sont plus âgés et mieux nantis peuvent passer au travers de la crise parce qu'ils sont établis depuis longtemps. Ceux qui en arrachent sont les jeunes qui veulent préserver l'entreprise familiale. Nous sommes en train de les étouffer lentement, mais sûrement. Une année après l'autre, ils meurent à petit feu et font faillite.

Au lieu de leur dire honnêtement qu'il n'y aura plus d'aide, qu'ils vont disparaître s'ils sont incapables de survivre par leurs propres moyens, le gouvernement les aide au compte-gouttes pour garder vivant un faux espoir. C'est déraisonnable.

Le ministre pense-t-il que c'est une façon équitable de traiter les jeunes agriculteurs canadiens?

L'honorable J. Bernard Boudreau (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, nous devrions faire notre possible pour aider les jeunes agriculteurs qui sont dans une situation critique. Nous devrions peut-être intervenir auprès du ministre au sujet du dossier de la Société du crédit agricole.

C'est un problème de taille qui, comme les honorables sénateurs le savent, est lié aux cours des produits de base sur le marché mondial et au fait que nos agriculteurs n'ont pas droit à des règles du jeu équitables. C'est un problème de taille qui a des répercussions à l'échelle internationale et auquel il faudra chercher une solution à divers niveaux.

(1500)

Mes collègues me donnent l'assurance que des efforts sont déployés et que des discussions sont en cours non seulement avec le ministre de l'Agriculture et son ministère, mais aussi sur la scène internationale, afin de régler le problème plus vaste que constitue, entre autres choses, l'absence de règles du jeu équitables.

La crise agricole au Manitoba et en Saskatchewan-Le Programme d'aide en cas de catastrophe liée au revenu agricole-Les sommes versées aux demandeurs

L'honorable Mira Spivak: Honorables sénateurs, ma question s'adresse au leader du gouvernement au Sénat. Bien que l'honorable ministre ait fait des efforts méritoires pour examiner la situation, ils ne reflètent toujours pas l'urgence de la situation ni la crise actuelle. C'est très bien de parler des modestes sommes qui ont été accordées ou de la situation mondiale, mais il y a actuellement urgence. En réponse à des urgences, il faut adopter des solutions plus radicales, par exemple, en éliminant l'ACRA et en prenant des mesures complètement différentes pour venir en aide à ceux qui sont dans le besoin.

Il y a à peu près une semaine, des personnes du milieu agricole au Manitoba m'ont dit qu'environ 59 p. 100 des demandes présentées par les agriculteurs avaient été rejetées. Le ministre sait-il si la situation est en train de s'améliorer, compte tenu de la restructuration de l'ACRA qui semble avoir eu lieu? Avec quelle rapidité les choses peuvent-elles s'améliorer? Le temps file et la situation se détériore sans cesse.

L'honorable J. Bernard Boudreau (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, je puis donner à madame le sénateur l'assurance qu'en réponse au problème général et à la question particulière qu'elle soulève sur le pourcentage de demandes rejetées, nous suivons l'évolution de la situation quotidiennement. Je ne sais pas si de nouvelles données valables sont disponibles depuis que les mesures de redressement ont été prises, mais je vais certainement me renseigner et transmettre la demande de l'honorable sénateur.

Le sénateur Spivak: Quelle période de probation a-t-on prévu pour cette nouvelle restructuration avant que le gouvernement constate que le jeu n'en vaut pas la chandelle?

Le sénateur Boudreau: Honorables sénateurs, comme c'est le cas pour tout programme, le ministre responsable suivra l'évolution de la situation. Dans ce cas-ci, je suis certain qu'il suivra son évolution quotidiennement. J'espère que les résultats se feront sentir assez rapidement.

Je ne puis dire quand il jugera que d'autres changements sont nécessaires ou que le programme fonctionne mieux maintenant. Ce serait difficile pour moi de dire quand il prendra cette décision. Toutefois, je ne doute pas qu'il suivra l'évolution de la situation au jour le jour.

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, la période des questions est maintenant terminée. Cependant, le sénateur Gustafson souhaite poser une question.

Est-ce une question complémentaire à une question précédente?

L'honorable Leonard J. Gustafson: Oui, Votre Honneur.

Son Honneur le Président: Veuillez poser votre question.

La crise agricole au Manitoba et en Saskatchewan-Demande de visite du premier ministre

L'honorable Leonard J. Gustafson: Honorables sénateurs, compte tenu de la crise, le leader du gouvernement au Sénat peut-il transmettre au premier ministre une demande d'aller constater par lui-même la gravité de la situation? L'ouest du Canada mérite certes que le premier ministre aille constater par lui-même la gravité de la situation.

L'honorable J. Bernard Boudreau (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, je transmettrai certainement cette demande au premier ministre.

[Plus tard]

L'environnement

La Nouvelle-Écosse-La responsabilité de la décontamination des sites de déchets toxiques-Demande de réponse

L'honorable Lowell Murray: Honorables sénateurs, il y a quelques semaines, j'ai posé une question au leader du gouvernement sur la position du gouvernement concernant la responsabilité à l'égard des sites miniers abandonnés au Cap-Breton. Le projet de loi C-11, concernant la dissolution de Devco, est actuellement à l'étude à la Chambre des communes, et j'aimerais avoir une réponse à cette question avant que ce projet de loi n'arrive ici.

Je remercie le leader du gouvernement de nous avoir offert son propre avis juridique à cet égard, qui est probablement la bonne réponse, mais la question est de savoir si les conseillers juridiques de la Couronne sont d'accord avec lui.

L'honorable J. Bernard Boudreau (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, je serai heureux de répondre à la question du sénateur. À une époque, les gens étaient très heureux de payer pour avoir ce genre d'avis juridique. C'était, à mon avis, la belle époque.

J'ai vu un avis juridique à ce sujet. Selon cet avis juridique, que je serai heureux de partager avec le sénateur et toute autre personne intéressée, le projet de loi n'aura aucune incidence sur la responsabilité existante.

Je peux donner au sénateur des informations beaucoup plus détaillées à ce sujet, ce que je ferai.

Le sénateur Murray: Je désire connaître la position du gouvernement concernant la responsabilité à l'égard de ces sites miniers abandonnés.

Le sénateur Boudreau: Je peux dire au sénateur que le gouvernement aimerait bien que quelqu'un d'autre assume la responsabilité. Cependant, je ne sais pas si je peux compter sur cela.

[Plus tard]

La Défense nationale

Le remplacement des hélicoptères Sea King-La possibilité du crédit-bail-Demande de réponse

L'honorable Gerry St. Germain: Honorables sénateurs, ma question s'adresse également au leader du gouvernement au Sénat. Le 4 novembre, j'ai posé une question concernant la possibilité de remplacer les Sea King en louant des hélicoptères, et le leader du gouvernement devait se renseigner auprès du ministre à cet égard. Aurai-je une réponse bientôt ou devrai-je poser de nouveau la question demain à la période des questions? Je fais une entorse au Règlement, Votre Honneur, pour pouvoir poser ma question.

L'honorable J. Bernard Boudreau (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, afin d'accélérer le processus, une réponse sera communiquée.

Réponses différées à des questions orales

L'honorable Dan Hays (leader adjoint du gouvernement): Honorables sénateurs, j'ai des réponses différées à quatre questions. La première a trait à une question qui a été posée le 2 novembre 1999 au Sénat par l'honorable sénateur Forrestall au sujet du régiment West Nova Scotia et de la nomination d'un colonel honoraire. La seconde concerne une question qui a été posée le 3 novembre 1999 au Sénat par l'honorable sénateur Kelleher au sujet d'un contrat de consultation avec l'employeur d'un ancien ambassadeur. La troisième a trait à une question qui a été posée le 3 novembre 1999 au Sénat par l'honorable sénateur Roche au sujet du désarmement nucléaire, de la politique du gouvernement face à la résolution de la New Agenda Coalition. La quatrième concerne une question qui a été posée au Sénat par l'honorable sénateur Oliver au sujet des efforts déployés pour augmenter la représentation des minorités visibles au sein du gouvernement.

La défense nationale

Le West Nova Regiment-La nomination d'un colonel honoraire

(Réponse à la question posée par l'honorable J. Michael Forrestall le 2 novembre 1999)

Le West Nova Regiment compte parmi les unités distinguées de la Réserve canadienne. Comme toutes les unités de la Réserve, il est un élément important de l'équipe de la défense du Canada.

En ce qui concerne la nomination d'un nouveau colonel honoraire, la candidature d'une personne a été recommandée. Cette recommandation est actuellement à l'étude.

Les affaires étrangères

Le nouvel ambassadeur auprès de l'Organisation mondiale du commerce-La possibilité d'un contrat de consultation avec l'employeur de l'ancien ambassadeur-Demande de dépôt de documents

(Réponse à la question posée par l'honorable James F. Kelleher le 3 novembre 1999)

1. Non, M. Weekes est en congé sans solde du MAÉCI et n'a aucun contrat avec le ministère. Il s'agirait d'un conflit d'intérêts et M. Weekes connaît très bien les règles d'éthique à cet effet.

2. Non, APCO n'a aucun contrat avec le gouvernement du Canada

Les Nations unies

Le désarmement nucléaire-La politique du gouvernement face à la résolution de la New Agenda Coalition

(Réponse à la question posée par l'honorable Douglas Roche le 3 novembre 1999)

Après avoir mené des consultations approfondies de haut niveau de façon très intensive, le Canada a décidé de maintenir son abstention en ce qui concerne la résolution sur le «Nouvel ordre du jour» de cette année.

Dans l'ensemble, notre décision ne constituait pas une réponse au texte de la résolution. Le texte de cette année a évolué considérablement et favorablement par rapport à ce que nous avons examiné l'an dernier.

Le gouvernement du Canada se rallie en outre de façon générale à l'évaluation faite par la New Agenda Coalition des fortes pressions exercées sur le régime de désarmement et de non-prolifération nucléaires reposant sur le TNP.

À notre avis cependant, une action concertée visant à régler les nombreux problèmes avec lesquels le régime de désarmement et de non-prolifération nucléaires est aux prises nécessitera le soutien le plus large possible.

Les États dotés d'armes nucléaires et leurs partenaires et alliances doivent s'engager pour que l'on puisse atteindre les objectifs de la résolution sur le Nouvel ordre du jour.

Pour notre part, nous entendons continuer de coopérer avec tous les États d'optique commune au sein des instances appropriées afin de susciter un soutien accru en faveur de la réalisation de progrès en ce qui concerne les objectifs clés du régime de non-prolifération et de désarmement nucléaires.

En sa qualité de membre de l'OTAN, le Canada a pris note avec satisfaction de l'augmentation du nombre d'États membres de l'OTAN non dotés d'armes nucléaires qui ont adopté une position commune à l'occasion du vote de cette année.

Nous serons saisis une nouvelle fois des questions visées par la résolution sur le Nouvel ordre du jour à la Conférence d'examen du TNP qui aura lieu le printemps prochain.

Le gouvernement du Canada s'efforcera de veiller à ce que la Conférence renforce le Traité et rétablisse une dynamique en vue de la réalisation de ses objectifs.

Le développement des ressources humaines

Les efforts déployés pour augmenter la représentation des minorités visibles

(Réponse à la question posée par l'honorable Donald H. Oliver le 3 novembre 1999)

Les données concernant les minorités visibles dans la fonction publique fédérale sont basées sur le principe de déclaration volontaire de l'employé. Les données disponibles les plus récentes indiquent que sur un total de 248 employés s'étant auto-identifiés dans les groupes et niveaux EX-04 et EX-05 (Sous-ministres adjoints), cinq d'entre eux ou 2.0 pour cent se sont auto-identifiés comme membres du groupe des minorités visibles. Les données pour les sous-ministres ou les personnes nommées par le gouverneur en conseil ne sont pas disponibles.


ORDRE DU JOUR

Projet de loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques

Deuxième lecture-Suite du débat

L'ordre du jour appelle:

Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur Kirby, appuyé par l'honorable sénateur Lewis, tendant à la deuxième lecture du projet de loi C-6, Loi visant à faciliter et à promouvoir le commerce électronique en protégeant les renseignements personnels recueillis, utilisés ou communiqués dans certaines circonstances, en prévoyant l'utilisation de moyens électroniques pour communiquer ou enregistrer de l'information et des transactions et en modifiant la Loi sur la preuve au Canada, la Loi sur les textes réglementaires et la Loi sur la révision des lois.

Son Honneur le Président: Honorable sénateur Murray, avant que vous ne commenciez, je rappelle que notre Règlement vous alloue 45 minutes en tant que premier orateur à prendre la parole après l'auteur du projet de loi. Mais vous avez déjà disposé de 37 minutes. Il vous reste donc huit minutes.

L'honorable Lowell Murray: Je vais faire de mon mieux.

Honorables sénateurs, il s'agit de la deuxième moitié d'un discours que j'ai commencé à prononcer le 4 novembre en ouvrant le débat, au nom de l'opposition loyale de Sa Majesté, sur le projet de loi C-6.

Avant d'entrer dans le vif du sujet, je voudrais corriger une inexactitude que j'ai commise dans mon discours du 4 novembre. Je parlais des efforts qui ont été faits dans le passé par divers partis politiques en vue d'inscrire dans la Charte canadienne des droits et liberté un droit à la vie privée.

J'ai affirmé par erreur que M. Chrétien avait été le ministre de la Justice du gouvernement Trudeau avant les élections de 1979. Or, il n'en est rien. M. Chrétien est devenu ministre de la Justice quand le gouvernement Trudeau a pris le pouvoir en 1980.

Toujours dans mon discours du 4 novembre, j'ai ouvert une parenthèse à propos du caractère confidentiel des données du recensement. La question a été soulevée plus tôt aujourd'hui lors de la déclaration de sénateurs de notre collègue, le sénateur Milne.

(1510)

J'ai parlé de la campagne en cours, qui pourrait amener la modification de la loi proposée par Sir Wilfrid Laurier, garantissant la confidentialité des renseignements personnels et à caractère privé recueillis à l'occasion d'un recensement. À l'époque, je m'étais opposé par principe à ce que la loi soit modifiée. Depuis, des Canadiens indignés par cette décision m'ont écrit - et même, dans certains cas, ces gens étaient furieux - essentiellement des gens que la généalogie intéresse. Ils m'ont expliqué qu'il était possible de prévoir des dispositifs de protection, à la condition que nous consentions à modifier la loi. Ma réponse, que je maintiens à ce jour, avait été la suivante: qu'on nous soumette ces dispositifs de protection, et nous les examinerons, s'il est demandé au Parlement de modifier la loi. Mais, sur le principe général, je maintiens ma décision. J'estime que devraient demeurer confidentiels tous renseignements personnels et privés, recueillis par le gouvernement dans le contexte d'un recensement, sur la foi d'une loi garantissant la confidentialité des ces informations. J'estime, par principe, que nous devrions éviter de modifier la loi à la légère. Après tout, au fil des années, les questions posées dans le cadre des recensements sont devenues de plus en plus indiscrètes, et ce n'est pas parce que les gens décèdent que le gouvernement peut s'estimé dégagé de son obligation de respecter la confidentialité promise à ces personnes.

C'est mon opinion, honorables sénateurs. Dans des lieux tels que le Sénat, nous devrions nous tenir sur nos gardes face aux tentatives manifestes de certains historiens, spécialistes en sciences sociales et journalistes de nous persuader que le droit de recueillir et de communiquer des informations devrait l'emporter sur tous les autres droits acquis. C'est pourquoi j'ai préconisé que nous envisagions d'inscrire un droit à la protection des renseignements personnels dans la Charte canadienne des droits et libertés.

Je reconnais entièrement que nous avons ici un conflit ou une incompatibilité entre deux principes légitimes, l'un étant l'accès à l'information et l'autre la protection des renseignements personnels. Comme pour tout autre conflit de principes, il faut tenter de trouver un juste équilibre. Cette incompatibilité de principes ou de valeurs apparaît également dans le projet de loi dont nous sommes saisis.

Comme je me suis engagé à le faire, j'ai rencontré un certain nombre de parties intéressées ou préoccupées par ce projet de loi ou j'ai eu avec elles des conférences téléphoniques ou encore j'ai lu attentivement leurs mémoires. Je n'ai pas changé d'avis au sujet de ce projet de loi. D'une manière générale, et je crois pouvoir parler au nom des sénateurs de ce côté-ci, nous appuyons sans réserve le principe et l'objectif de ce projet de loi, particulièrement en ce qui concerne la question de la protection des renseignements personnels. Pour ma part, je serais très réticent à prévoir des exceptions à ce projet de loi.

Cela dit, j'ai eu ces discussions avec les parties intéressées, surtout les gens du secteur de la santé. Je ne prendrai pas votre temps aujourd'hui en essayant de prévoir le témoignage qu'ils seront invités à donner devant le comité, j'en suis persuadé. Cependant, je voudrais signaler certaines des principales questions sur lesquelles le comité devra se pencher.

Honorables sénateurs, il y a une confusion extraordinaire même chez le gouvernement et ses conseillers quant à savoir si ce projet de loi s'applique au secteur des soins de santé et comment. Le sénateur Kirby, le parrain du projet de loi, pourrait bien vouloir parler de cette question lorsqu'il mettra un terme au débat en deuxième lecture. Cependant, il devra faire mieux que ce qu'il a fait dans sa déclaration prudente qui figure à la page 120 des Débats du Sénat du 4 novembre où il a dit:

Honorables sénateurs, le projet de loi C-6 va s'appliquer à tous les secteurs d'activité, indépendamment de la taille des entreprises. Cela comprend aussi le secteur de la santé. Il va permettre de protéger les renseignements personnels en matière de santé qui ont été recueillis, utilisés et communiqués dans le cadre d'activités commerciales.

M. Manley et le ministère de l'Industrie ont précisé pour leur part que le projet de loi ne s'applique pas aux médecins, aux patients et aux hôpitaux. Je tiens à dire que ce point de vue est remis en question et, en fait, contesté par de nombreuses parties intéressées et leurs conseillers juridiques. C'est le cas par exemple de l'Association canadienne des soins de santé, qui représente les hôpitaux de l'Association médicale canadienne, de l'Ontario Medical Association et du ministère de la Santé de l'Ontario. Il s'agit là d'organismes qui ont un point de vue diamétralement opposé sur le fond du projet de loi et ce qu'on devrait en faire. Pourtant, ils sont d'accord sur un point, soit que le secteur de la santé ne peut vivre avec l'ambiguïté et la confusion entourant ce projet de loi en ce qui concerne son application au secteur.

La confusion découle, en partie du moins, du fait que le projet de loi est censé s'appliquer aux «activités commerciales». Qu'entend-on par là? La définition dans le projet de loi n'est pas vraiment utile, car elle est tautologique. On dit dans le projet de loi qu'une «activité commerciale» est:

Toute activité régulière ainsi que tout acte isolé qui revêtent un caractère commercial...

Cette définition n'est pas très utile. Pourtant, on me dit que les lois fédérales sont pleines de définitions qui sont presque identiques à celle-ci en ce qui a trait à l'activité commerciale. L'idée est qu'on laisse aux tribunaux le soin de décider dans chaque cas ce qui constitue une activité commerciale.

L'honorable Fernand Robichaud (Son Honneur le Président suppléant): Honorables sénateurs, le temps de parole du sénateur Murray a expiré. Permission est-elle accordée à l'honorable sénateur de poursuivre?

Des voix: D'accord.

Le sénateur Murray: Je remercie les honorables sénateurs pour leur gentillesse. Franchement, je ne me suis jamais arrêté à la règle qui limite à 45 minutes l'intervention du sénateur qui répond. Je ne m'étais pas rendu compte que j'avais passé autant de temps sur la première partie de mon intervention. Je n'en ai plus pour très longtemps.

La question est de savoir si la relation médecin-patient, dans la mesure où il y a des honoraires, ou la relation hôpital-patient, encore une fois dans la mesure où il y a des honoraires, sont de nature commerciale. Qu'elles le soient ou non, il y a quand même un problème. L'Association médicale canadienne met l'accent sur ce problème. J'aimerais faire part de son opinion aux sénateurs. Je cite:

Selon l'AMC, il n'y a pas vraiment moyen de faire une distinction entre l'activité commerciale et l'activité de soins de santé d'une façon qui permette de s'assurer que les renseignements figurant dans le dossier médical soient assujettis à des règles différentes de celles auxquelles sont assujetties les autres renseignements. Que même si une telle distinction était possible, le dilemme serait le même pour le gouvernement, car serait-il souhaitable que les dossiers médicaux ne soient assujettis à aucune règle? Autrement dit, les organismes qui recueillent actuellement de l'information sur la santé pourront-ils prétendre qu'ils ne sont pas assujettis aux dispositions du projet de loi C-54 parce que cette information fait partie du dossier de santé?

(1520)

Comme vous le savez, le numéro C-54 est celui qui avait été attribué à ce projet de loi à l'occasion de la session précédente. La citation se poursuit:

En vertu d'un tel régime, les dossiers de santé seraient assujettis à des critères moins élevés que ceux qui ont cours pour les renseignements recueillis dans le contexte commercial.

C'est là l'expression d'un point de vue. La même opinion est exprimée par l'Association canadienne de la santé, qui représente les hôpitaux. Elle se fonde sur une opinion juridique qu'elle a obtenue du cabinet d'avocats Heenan Blaikie de Montréal, qui précise ce qui suit:

... non seulement l'expression «activité commerciale» est-elle très ambiguë, mais elle est aussi totalement inapplicable à notre avis dans le contexte du système de santé d'aujourd'hui. Au cours des dernières années, le système de santé est devenu un réseau de services si complexe et si transparent que toute mesure visant à exclure uniquement l'«activité commerciale» du système de santé aux fins du projet de loi C-54 aboutirait uniquement à des résultats illogiques, insensés et ridicules.

Les deux organismes, soit l'Association médiale canadienne et l'Association canadienne de la santé, ont des vues très différentes au sujet du contenu du projet de loi, mais leur analyse de la situation est remarquablement similaire. Ils arrivent tous deux à la conclusion que, dans le secteur de la santé, il est tout simplement impossible de séparer les activités commerciales des activités non commerciales.

Je ne veux pas simplifier exagérément la question mais, en règle générale, il est à mon avis juste de dire que les organismes du domaine de la santé dont les activités sont clairement et indubitablement d'ordre commercial s'opposent à ce projet de loi et demandent que tout le secteur de la santé échappe à ses dispositions. Lorsque je parle de «ces» organismes, je veux dire entre autres les pharmacies, les laboratoires et les entreprises qui recueillent, paient et vendent des données du domaine de la santé, sous une forme globale ou autre, et certains organismes de recherche et universités dont les activités comprennent un volet commercial. Ils estiment que l'obligation d'obtenir le consentement des gens avant de communiquer des données en matière de santé est trop onéreuse. À leur avis, cette exigence limitera sérieusement leur aptitude à réunir un corps d'information unifié visant à aboutir à une meilleure politique et à une meilleure gestion dans le domaine de la santé. Ils laissent même entendre que ce projet de loi se traduirait par un recul grave de la recherche médicale au pays.

Ces organismes ne sont pas les seuls à réclamer une exemption. L'Association canadienne des soins de santé, dont j'ai déjà parlé, l'Ontario Medical Association, le ministère de la Santé de l'Ontario et à tout le moins la section ontarienne de l'Association canadienne pour la santé mentale en ont fait autant.

L'Ontario Medical Association affirme que le projet de loi est incompatible avec la Loi sur les médecins et la Loi sur le consentement aux soins de santé. À leur avis, les lois provinciales devraient avoir préséance. Toutes ces personnes croient que l'établissement de protocoles interprovinciaux serait plus efficace qu'une loi fédérale pour assurer la protection des renseignements sur les soins de santé. À l'heure actuelle, je dois dire que d'autres personnes bien au fait des lois provinciales ne sont pas aussi optimistes. En fait, on dit parfois que la loi ontarienne est une loi sur l'accès aux renseignements plutôt que sur la protection des renseignements.

Je ne veux pas dire par là que des organismes comme l'Ontario Medical Association et l'Association canadienne des soins de santé ne s'intéressent pas à la protection des renseignements sur les soins de santé. Ce n'est pas le cas. En fait, l'Association canadienne des soins de santé a dit craindre que puisqu'il établit une distinction entre les activités commerciales et les autres, ce projet de loi pourrait mener à la création d'un système de protection à deux vitesses, un niveau de protection plus élevé étant accordé aux renseignements en matière de santé obtenus dans le cadre de la prestation de soins couverts par une assurance privée et un niveau plus faible pour ceux qui seraient couverts par une assurance publique.

Il y a encore là incompatibilité au niveau des valeurs, ou à tout le moins des priorités. Les exposés préparés par ces groupes présentent des préoccupations que je qualifierais d'institutionnelles face à l'aptitude à gérer, à planifier et à améliorer le système de soins de santé. Ils craignent que ce projet de loi freine la collaboration entre les secteurs public et privé en ce qui a trait au financement ou à la prestation des soins de santé. J'ai même lu dans un des exposés que cela pourrait empêcher la Croix Bleue ou le Bouclier vert du Canada de remplir leurs responsabilités en Ontario dans le domaine des soins de santé. Il serait, selon eux, difficile, voire même impossible pour le gouvernement fédéral de mettre en oeuvre les recommandations de son Conseil consultatif sur l'infostructure de la santé qui a présenté son rapport en février 1999.

À l'inverse, nous avons les positions exprimées très vigoureusement par l'Association médicale canadienne et par l'Association dentaire canadienne. L'Association médicale canadienne soutient que la protection de la confidentialité du dossier médical du patient doit l'emporter sur toute autre considération. Elle trouve que ce projet de loi est faible. Elle juge que le code de l'Association canadienne de normalisation sur lequel se fonde le projet de loi est inadéquat en ce qui a trait au secteur de la santé et elle croit, comme elle l'a dit, que le projet de loi semble avoir l'accès à l'information pour valeur dominante.

L'Association dentaire canadienne nous a dit que nous devons clarifier le projet de loi sur plusieurs autres points importants. Elle soutient que le projet de loi C-6 ne réussit pas à répondre aux exigences fondamentales pour protéger les Canadiens contre le mauvais usage de renseignements personnels concernant leur santé par des usagers secondaires et tertiaires de cette information. Le projet de loi C-6 permet peut-être de réaliser plusieurs priorités du gouvernement en matière de commerce électronique, dit l'ADC, mais elle croit que le Sénat doit faire quelque chose pour clarifier et renforcer le projet de loi en ce qui concerne les renseignements personnels en matière de santé.

L'Association médicale canadienne et l'Association dentaire canadienne ont toutes deux élaboré des amendements qu'elles veulent que nous examinions et qui, d'après ce que j'en ai compris, incorporeraient essentiellement dans cette mesure fédérale leurs propres codes de protection des renseignements personnels.

Honorables sénateurs, le comité est confronté à une tâche difficile et complexe. Devant ces positions qui s'opposent vivement, même dans le domaine de la santé, il serait tentant de dire que la vérité réside quelque part entre ces deux positions et que le gouvernement est probablement parvenu à établir un juste équilibre avec son projet de loi C-6. Il serait tentant d'en arriver à cette conclusion ou de soutenir cet argument, mais ce serait vraiment trop facile.

Premièrement, le comité devra tâcher de dissiper l'ambiguïté et la confusion à propos de l'applicabilité du projet de loi au secteur de la santé. C'est un domaine vraiment trop important. La protection des renseignements personnels en matière de santé est trop importante pour laisser ce secteur dans la confusion. Il est clair que les professionnels dans ce domaine ne peuvent l'accepter, car ils nous l'ont dit.

(1530)

Si le projet de loi n'est pas clarifié, celui-ci risque, une fois adopté, d'être plus souvent violé que respecté. Aucun d'entre nous ne souhaite qu'il en soit ainsi.

Même si nous pouvons éliminer l'ambiguïté qui existe quant à l'application du projet de loi, que répondons-nous à l'Association médicale canadienne et à l'Association dentaire canadienne, qui insistent afin que la mesure législative soit considérablement renforcée? Devrions-nous essayer d'appliquer les dispositions à tout le secteur de la santé, tant commercial que non commercial? Si nous le faisons, avons-nous réellement le pouvoir constitutionnel d'agir de la sorte?

Enfin, il faut absolument entendre Santé Canada relativement à cette question. Pour autant que je sache, aucun représentant de Santé Canada n'est venu témoigner lors des audiences du comité de la Chambre des communes. La mesure législative est parrainée conjointement par M. Manley et par Mme MacLellan, la ministre de la Justice. Ceux-ci sont responsables de parties différentes du projet de loi. Le comité et le Sénat doivent bénéficier des vues du ministère de la Santé relativement à tous les aspects du projet de loi qui touchent le secteur de la santé. Personnellement, je ne tiens pas à ce que le ministre vienne témoigner, mais le comité devrait certainement inviter des hauts fonctionnaires du ministère de la Santé à venir examiner cette mesure législative, étant donné que celle-ci touche la santé.

Honorables sénateurs, nous avons beaucoup de travail à faire. Mettons-nous à la tâche, mais ne précipitons pas les choses. Ne nous imposons pas de délais artificiels lorsqu'il s'agit d'une question aussi importante. Cette fois-ci, nous n'avons pas à nous préoccuper d'une prorogation. Nous pouvons prendre le temps nécessaire.

Honorables sénateurs, je vous remercie de votre indulgence.

L'honorable Sheila Finestone: Honorables sénateurs, j'ai écouté avec grand intérêt les critiques constructives de notre honorable collègue. Il nous rappelle et renforce l'importance de la question du droit à la vie privée, essentiellement, le droit qu'on nous laisse tranquilles. Je crois que c'est le juge Brandeis qui a dit que nous avions le droit qu'on nous laisse tranquilles, et je suis bien d'accord avec lui.

La question est de savoir si ce projet de loi répond aux deux critères suivants. Le premier est un critère économique et le second concerne la justice sociale. Un grand nombre des sénateurs qui se trouvent aujourd'hui en face de moi comprennent le dilemme qui consiste à équilibrer justice économique et justice sociale d'une manière qui soit équitable pour eux et pour les personnes que nous avons le privilège de représenter en cette Chambre, ainsi que pour toutes les personnes envers lesquelles nous éprouvons un fort sentiment de responsabilité.

Honorables sénateurs, c'est avec une joie toute particulière que je parle aujourd'hui du projet de loi C-6. Je me souviens que, du temps où je siégeais à l'autre endroit, il s'appelait le projet de loi C-54, Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques. Ma joie est d'autant plus grande que l'une des responsabilités et des fonctions dont je suis la plus fière a été de servir en tant que présidente du comité permanent des droits de la personne et de la condition des personnes handicapées de l'autre endroit. Nous avons tenu des audiences sur une grande variété de questions concernant la vie privée et, en 1997, nous avons rédigé un rapport intitulé: «La vie privée: Où se situe la frontière?»

Les membres du comité ont consacré de nombreux mois à l'étude de cette question. Ils ont parcouru le Canada et rencontré bien des gens. Nous avons entendu des histoires assez troublantes au sujet du traitement accordé aux personnes handicapées et des droits de la personne qui n'étaient pas bien protégés. Nous avons entendu parler des défis que représente la nouvelle technologie au niveau de la protection des droits des citoyens d'en empêcher certains de fouiller dans leur vie privée et d'utiliser les renseignements qu'ils découvrent à des fins infâmes. Nos recherches m'ont fait découvrir les nombreuses facettes complexes que comporte cette question. Il reste encore beaucoup de travail à faire pour renforcer nos droits fondamentaux.

Aujourd'hui, je traiterai en particulier de la partie 1 du projet de loi et de la protection des renseignements personnels dans le secteur privé. Cela ne diminue en rien mes réserves quant à la deuxième partie du projet de loi qui porte sur les documents électroniques. Les dispositions de la partie 2 du projet de loi sont essentielles pour faciliter le commerce électronique qui est devenu si important pour l'économie canadienne actuelle et dont l'importance ne fera que croître au fil des ans.

Pour le moment, je voudrais surtout me concentrer sur la définition de la protection de la vie privée et de l'utilisation des renseignements personnels. Les dispositions du projet de loi C-6 visant à assurer la protection de la vie privée représentent un grand pas dans la bonne direction, surtout aux yeux de ceux qui constataient l'urgent besoin de mieux protéger ce droit. En appliquant les principes de la protection des données reconnus internationalement aux entreprises privées de ressort fédéral, le projet de loi tend vers un régime exhaustif de protection de la vie privée.

Des lois sur la protection des renseignements personnels et sur le commerce électronique sont déjà en train d'être élaborées en Europe, dans l'Union européenne, à l'OCDE, en Nouvelle-Zélande et en Australie. Les Américains sont préoccupés parce qu'ils ne disposent pas de mécanismes précis de protection des renseignements commerciaux. Ils ont presque perdu un énorme contrat avec l'Allemagne parce qu'ils n'avaient pas la protection voulue. Ils se sont donc empressés de l'obtenir dans ce cas-là. Ils élargissent actuellement la portée de cette protection pour pouvoir renforcer leur activité commerciale. Nous devons également faire de même, honorables sénateurs. Je suis heureuse que nous nous dirigions dans cette voie grâce à ce projet de loi.

Je rappelle aux honorables sénateurs que la protection des renseignements personnels n'est pas une chose à laquelle on peut penser après coup dans une société démocratique. Je soutiens que la protection des renseignements personnels est au coeur même des nombreux droits fondamentaux de la personne qui sont essentiels dans une démocratie.

Depuis 1983, le Canada a inséré des mesures de protection des données fédérales dans la Loi sur la protection des renseignements personnels. Le commissaire à la protection de la vie privée, Bruce Phillips, s'occupe de ces questions, de même que de celles qui relèvent de la Loi sur l'accès à l'information. Ces deux lois peuvent parfois entrer en conflit, mais toutes deux ont pour obligation de protéger tous les citoyens.

La Loi sur la protection des renseignements personnels régit la collecte, l'utilisation et la communication de renseignements personnels par des institutions gouvernementales. Elle est très rigoureuse et a été efficace jusqu'ici. À mon avis, le commissaire Phillips s'est très bien acquitté de cette fonction. Cette loi donne également le droit d'accéder aux renseignements personnels que possèdent ces institutions mais, tant que le projet de loi C-6 n'est pas adopté, il n'existe aucune loi complète de protection des renseignements qui régit le secteur privé au Canada, sauf au Québec. Le Canada est un des rares pays, non seulement du G-8 ou du G-9, mais aussi du G-22, qui sont très loin derrière les autres en ce qui concerne une loi de ce genre.

Le commissaire à la protection de la vie privée du Canada a soutenu que la force qui anime les sociétés décentes est le respect du principe d'équité. Nous devons nous traiter les uns les autres avec un niveau raisonnable de respect. Nous ne devons pas nous promener en cachette avec des renseignements que nous pouvons utiliser contre d'autres personnes. Il a déclaré que cela n'est pas le genre de société ouverte, transparente et franche que nous voulons bâtir. Je pense que tous les honorables sénateurs en conviennent.

Le projet de loi C-6 vise à assurer le respect de ce principe d'équité et de décence. À mon avis, le projet de loi a atteint l'équilibre délicat qui s'impose entre la nécessité pour les entreprises canadiennes d'avoir accès à des renseignements personnels pour exercer leurs activités et la nécessité pour tous les citoyens de contrôler la collecte, l'utilisation et la communication des renseignements qui les concernent.

(1540)

Il est arrivé à bon nombre d'entre nous d'avoir une boîte aux lettres qui déborde de nouveau courrier de tout genre. Nous nous demandons alors à quelle revue nous avons pris un abonnement ou encore quel achat nous avons fait au moyen d'une carte de crédit, de sorte que nous comprenons ce que nous recevons à notre porte, dans le courrier et par l'intermédiaire de notre téléphone, et nous ne sommes pas étonnés. Ce qui nous étonne, c'est que nos noms soient vendus. Chacun de nous est un objet de commerce, une marchandise. Dans quelle mesure voulons-nous contrôler cette marchandise pour protéger des renseignements personnels? L'effort pour établir un équilibre est évident dans l'article énonçant l'objet du projet de loi. Je conviens que la mesure a besoin d'être amendée et clarifiée. J'ignore si nous allons faire un compromis et nous entendre, mais je serais certainement plus à l'aise si cette question faisait l'objet d'un examen plus approfondi.

Les dispositions sur la protection de la vie privée reconnaissent que nous vivons dans une ère où la technologie facilite de plus en plus la circulation et l'échange de renseignements. Ces dispositions reconnaissent le besoin de fixer des règles régissant la collecte, l'utilisation et la communication de renseignements personnels d'une manière qui tient compte du droit des individus à la vie privée à l'égard des renseignements personnels qui les concernent et le besoin des organisations de recueillir, d'utiliser ou de communiquer des renseignements personnels à des fins qu'une personne raisonnable estimerait acceptables dans les circonstances. J'insiste sur cette disposition, car elle correspond à un important amendement ayant été apporté. C'est un libellé qu'il ne faudrait pas oublier.

Le projet de loi C-6 n'est pas une panacée pour toutes les menaces à la vie privée auxquelles font face toutes les sociétés démocratiques modernes, mais il s'arrête sur un élément important qui est la possibilité que des renseignements personnels soient transmis à des organisations au Canada. Le projet de loi accorde aux consommateurs des droits en ce qui concerne les renseignements personnels qui les concernent, tout en respectant le besoin légitime des entreprises de recueillir et d'utiliser ces renseignements. Les consommateurs doivent avoir confiance - c'est très important avec Internet - et nous devons favoriser cette confiance. Pour que nos entreprises prospèrent et grandissent, elles doivent établir un lien de confiance avec ceux qui utilisent leurs services. Par conséquent, la confiance qu'a le consommateur que ses renseignements personnels seront protégés dans les transactions électroniques est absolument fondamental. En même temps, les efforts pour protéger les renseignements portant sur des individus ne doivent pas entraîner inutilement des coûts pour les entreprises.

La nouvelle mesure législative exigera que les entreprises se conforment à l'ensemble de pratiques équitables de traitement de l'information mises au point par les représentants de l'industrie. Les groupes de défense des consommateurs, les syndicats, le gouvernement et divers secteurs du domaine de la santé ont été consultés pour cette mesure législative de l'Association canadienne de normalisation. C'est là, je crois, une vaste représentation des préoccupations et des besoins à prendre en considération.

Les pratiques équitables de traitement de l'information dont il est question s'appellent le Code type de l'Association canadienne de normalisation. Ce code est en vigueur depuis 1996 et est joint en annexe au projet de loi. Il a été mis au point par la société civile, les entreprises, l'industrie, les professionnels et les ONG. Un des amendements serait pertinent en l'occurrence car il s'agit d'une description très vaste qui couvre un large éventail d'entreprises commerciales au Canada.

Ce code établit les obligations des entreprises qui recueillent, utilisent et communiquent des renseignements personnels. Les entreprises doivent indiquer aux personnes à quelles fins les données sont recueillies, obtenir leur consentement avant d'utiliser ou de communiquer les renseignements, veiller à ce que les renseignements soient bien ceux qui sont nécessaires pour les fins auxquelles ils doivent servir - non pas n'importe quelles fins, mais bien les fins auxquelles ils ont été recueillis - et protéger les renseignements par des mesures de sécurité adéquates. La norme nationale établit aussi le droit des sujets des données de voir et de corriger leurs dossiers et de se plaindre en cas de problèmes. Ces personnes peuvent s'adresser à quelqu'un dans l'entreprise qui semble utiliser à mauvais escient ou mal communiquer les renseignements et exiger qu'un responsable s'occupe du problème et prenne les mesures appropriées.

Il y aura sans doute un débat sur les améliorations à apporter au projet de loi pour le rendre plus efficace. Je rappelle aux honorables sénateurs qu'un projet de loi est rarement parfait dans sa forme initiale; en fait, peu de choses sont parfaites en ce monde bien imparfait. L'évolution de cette mesure législative nous montrera dans quel sens nous orienter pour apporter des amendements qui amélioreront son efficacité sur le plan de la protection des renseignements personnels tout en respectant les intérêts légitimes des entreprises canadiennes dans toute la mesure du possible.

Un sénateur a posé une question au sujet de l'ensemble des services de santé. Je connais l'AMC, et je crois comprendre qu'elle applique le serment d'Hippocrate, un code de conduite et un code d'éthique. Tous les médecins, dentistes et pharmaciens doivent s'y conformer. Cela ne veut pas nécessairement dire que nous devons avoir tout un assemblage hétéroclite de mesures pour prévenir toute atteinte au droit à la protection de l'identité et des renseignements personnels au Canada.

Honorables sénateurs, j'ai été très heureuse de constater qu'on avait apporté des changements au projet de loi présenté au départ à l'autre endroit. Il y a eu 16 amendements, et un certain nombre d'entre eux ont répondu à nombre de mes questions et de mes inquiétudes. Ainsi, la définition des renseignements personnels a été amendée. La modification est très importante, car l'expression désigne maintenant tout ce qui se rapporte à un individu identifiable. Cela s'applique à des choses comme les caméras de surveillance, les caméras placées dans les toilettes, les renseignements médicaux et dentaires, les renseignements d'ordre pharmaceutique, les pharmacies qui livrent les médicaments, et les recherches. Cependant, pour nous prémunir contre toute erreur - cela est crucial, car nos renseignements personnels une fois perdus, ne peuvent être récupérés -, il est vital que la définition s'étende aux membres des professions libérales et aux ONG. Ces organisations vendent parfois comme un produit leurs listes de distribution. Il faut en tenir compte.

Je voudrais que nous apportions une modification à cette disposition où l'on trouve les définitions. Si je ne m'abuse, cette disposition se trouve dans la partie 1, à l'article 2, que vient de lire le sénateur. Cet article définit ce qu'il faut entendre par activité commerciale. Qu'est-ce qu'une activité commerciale? S'il s'agit d'une activité commerciale, l'activité en cause devrait être couverte et elle devrait comprendre des professionnels et des organismes sans but lucratif. J'estime que nous réglerions ainsi certains des problèmes qui ont été soulevés par divers organismes.

Honorables sénateurs, puis-je terminer, avec votre permission?

Son Honneur le Président: La permission est-elle accordée, honorables sénateurs?

Des voix: D'accord.

Le sénateur Finestone: Je crois que M. Phillips l'a dit mieux que moi. Cependant, je le dirai en général. Il s'agit d'informations liées à des êtres humains identifiables et, franchement, je ne voudrais pas penser à eux en tant que groupes ou cercles différents. Essentiellement, si l'information que vous avez me concerne et que vous l'ayez obtenue parce que je me suis adressée à vous pour ma police d'assurance, des services de santé, des services médicaux ou dentaires, cette information m'appartient et elle me concerne. Comme mes petits-enfants le disent, elle est à moi. Elle est à moi et personne ne peut se l'approprier si nous adoptons ce projet de loi correctement.

Le droit de ne pas être identifiables par ceux desquels nous ne souhaitons pas être connus - bref, le droit de ne pas être importunés - doit être garanti dans l'article du projet de loi où sont énoncées les définitions. Je voudrais bien que nous parvenions à le faire. J'espère que le ministre acceptera de modifier cette définition et qu'il veillera à ce qu'elle précise qu'il nous importe peu d'où a été tirée cette information ni comment elle est parvenue dans le monde commercial si l'intéressé qui l'a obtenue n'avait pas le droit de le faire - il n'avait pas ma permission, il n'a pas obtenu mon assentiment et je ne veux pas qu'il ait cette information en sa possession.

(1550)

Il faut aussi examiner la question soulevée à l'alinéa 7(3)f) du projet de loi relativement à la communication de données à des fins de recherche. Beaucoup de gens se plaignent de l'utilisation de données à des fins de recherche. Il y a moyen d'utiliser des données sans identifier les personnes. Il n'y a aucune raison pour qu'on ne puisse pas le faire. On peut mener des recherches sans révéler l'identité des personnes. La question visée par cette disposition est le fin mot de l'histoire.

Bref, honorables sénateurs, ce projet de loi est excellent même s'il doit être étoffé et approfondi à certains endroits. Je crois que nous pouvons nous attendre à une discussion éclairée au comité et cela, dans l'intérêt supérieur des Canadiens. Nous pouvons nous attendre à ce que notre vie privée soit protégée. Je crois que le projet de loi C-6, qui fait partie de la stratégie nécessaire à cette fin, aura la faveur de la Chambre et deviendra loi. Je crois que nous pourrons faire affaire sans problème avec l'Union européenne. Je crois que nous respecterons les critères de l'OCDE. Plus important encore, je crois que nous protégerons les renseignements personnels de tout le monde.

(Sur la motion du sénateur Oliver, le débat est ajourné.)

La Loi sur la défense nationale
La loi sur l'identification par les empreintes génétiques
Le Code criminel

Projet de loi modificatif-Deuxième lecture-Ajournement du débat

L'honorable Joan Fraser propose: Que le projet de loi S-10, Loi modifiant la Loi sur la défense nationale, la Loi sur l'identification par les empreintes génétiques et le Code criminel, soit maintenant lu une deuxième fois.

- Honorables sénateurs, je suis particulièrement heureuse de parler en faveur du projet de loi S-10, qui vise à modifier la Loi sur la défense nationale, la Loi sur l'identification par les empreintes génétiques ainsi que le Code criminel. Ce projet de loi existe dans une large mesure grâce au Sénat et plus précisément au comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.

Ce projet de loi représente l'aboutissement d'un engagement que le solliciteur général a pris l'automne dernier lorsque le comité examinait la nouvelle Loi sur l'identification par les empreintes génétiques. Comme vous vous en souviendrez peut-être, cette loi prévoit l'établissement d'une banque nationale de données génétiques qui permettra de conserver le profil d'identification génétique d'individus ayant commis des crimes graves et violents. Ces profils sont établis seulement une fois que l'individu est trouvé coupable, et il ne faut pas les confondre avec le travail lié aux empreintes génétiques que les corps policiers effectuent lorsqu'ils enquêtent sur un crime. Il s'agit d'une banque dans laquelle les données sont versées une fois que la culpabilité d'un individu est prouvée.

Le comité a examiné en profondeur la Loi sur l'identification par les empreintes génétiques afin de s'assurer que le Canada dispose d'une banque de données génétiques exhaustive, mais que les droits concernant la protection des renseignements personnels des Canadiens soient aussi protégés. Pendant son examen, le comité a remarqué que le projet de loi ne prévoyait aucune disposition autorisant le prélèvement de substances corporelles sur des contrevenants trouvés coupables d'infractions graves et violentes et traduits dans le cadre du système de justice militaire, prélèvement dont les résultats sont ensuite versés dans la banque de données génétiques. Le comité a exprimé ses préoccupations quant à la nature extrêmement délicate des données génétiques, à l'évolution rapide de la technologie concernant les empreintes génétiques et aux risques de porter atteinte à la vie privée des Canadiens de manière imprévue.

[Français]

Ces préoccupations avaient amené le comité à recommander, dans son seizième rapport, d'apporter certaines améliorations aux mesures législatives touchant la banque de données génétiques. Le solliciteur général s'était engagé à donner suite à ces recommandations en déposant un projet de loi distinct avant la mise en place de la banque nationale de données génétiques. Le Sénat avait accepté qu'on procède ainsi parce que la GRC avait besoin de plus d'un an pour mettre sur pied la banque de données. On prévoit maintenant que la banque sera prête en juin prochain.

[Traduction]

Étant donné que le projet de loi S-10 répond à des questions soulevés au Sénat, le solliciteur général a demandé expressément qu'il soit présenté au Sénat avant l'autre endroit. Je suis convaincu que nous apprécions tous cette initiative de M. MacAulay. C'est une approche prudente qui nous donne l'occasion d'effectuer la première étude du projet de loi et de nous assurer qu'il répond à toutes nos préoccupations.

J'arrive maintenant au contenu du projet de loi. Il s'agit d'un projet de loi hautement technique, truffé de renvois à d'autres lois, mais, essentiellement, ses principaux éléments sont très simples.

Tout d'abord, le projet de loi modifie la Loi sur la défense nationale et la Loi sur l'identification par les empreintes génétiques de manière à inclure dans la banque nationale de données génétiques les profils des individus soumis au code de discipline militaire et reconnus coupables d'infractions graves et violentes. Le code s'applique au personnel militaire, aux réservistes et à certains civils qui accompagnent les militaires à l'étranger.

Le système de profils d'identification génétique établi par le projet de loi S-10 pour les militaires suit très étroitement le modèle du système que le Parlement a créé pour les civils.

[Français]

À la suite d'une condamnation pour l'infraction désignée, les juges militaires auront donc le pouvoir d'ordonner le prélèvement d'échantillons de substances corporelles sur des personnes justiciables du code de discipline militaire. Les profils d'identification génétique qui seront établis à partir de ces échantillons seront transmis au commissaire de la GRC afin qu'il les dépose dans la banque nationale de données génétiques. Pour que le droit à la vie privée soit respecté à coup sûr, les procédures d'exécution et les garanties prévues par le Code criminel seront reprises dans la Loi sur la défense nationale.

De plus, les juges militaires pourront délivrer des mandats relatifs aux analyses génétiques aux fins d'enquêtes menées par la police militaire sur des infractions désignées qui auront été commises au Canada ou à l'étranger par des personnes justiciables du code de discipline militaire. Les dispositions de cette loi ayant trait à la délivrance de mandats sont adaptées aux particularités du contexte militaire. Ainsi, la police militaire pourra demander des mandats concernant les analyses génétiques lorsqu'elle enquêtera sur des infractions d'ordre militaire qui sont comparables aux infractions secondaires définies dans le Code criminel.

[Traduction]

Les modifications apportent des améliorations notables à la loi en vigueur. Dans l'état actuel des choses, la police militaire peut s'adresser à un juge d'une cour provinciale pour obtenir un mandat relatif à des analyses génétiques dans le cadre de l'enquête sur une infraction désignée commise au Canada, mais elle ne peut pas obtenir ce mandat si l'infraction a été commise à l'étranger. La liste des infractions désignées contenue dans le Code criminel n'inclut pas certaines infractions graves aux termes de la Loi sur la défense nationale ou certaines infractions à caractère strictement militaire, par exemple, la mutinerie avec violence. Le projet de loi donnera aux juges militaires le pouvoir d'émettre des mandats relatifs aux analyses génétiques en cas d'infractions à la Loi sur la défense nationale de sorte que la police militaire puisse mener des enquêtes policières plus efficaces tant au Canada qu'à l'étranger.

Une deuxième série de modifications apportées dans ce projet de loi répond directement aux recommandations du comité sénatorial. Ce projet de loi donne au Sénat le même pouvoir que la Chambre des communes pour ce qui est d'examiner la Loi sur l'identification par les empreintes génétiques cinq ans après sa proclamation. Étant donné la nature très délicate des données génétiques et les répercussions possibles des changements technologiques sur la banque de données, le Parlement et le public seront aussi régulièrement informés au sujet du fonctionnement de la banque de données. Le commissaire de la GRC sera tenu de présenter un rapport annuel sur le fonctionnement de la banque nationale de données génétiques au solliciteur général, qui déposera ce rapport à la Chambre des communes et au Sénat.

Ces modifications visent précisément à donner au Parlement les outils nécessaires pour surveiller l'efficacité de la banque de données sur une certaine période, ce qui était une préoccupation du Sénat.

Le troisième principal élément qui est modifié est l'énoncé des principes de la Loi sur l'identification par les empreintes génétiques, qui est élargi. Il sera précisé que les substances corporelles prélevées et les profils génétiques établis à partir de ces substances ne peuvent être utilisés qu'aux fins d'application de la loi. Cette modification vise à répondre aux préoccupations du comité sénatorial au sujet de la mauvaise utilisation possible des profils génétiques, par exemple pour déterminer les caractéristiques médicales, physiques ou mentales d'une personne. En fait, cela rejoint certaines des questions soulevées durant le débat sur les renseignements personnels.

(1600)

Cette banque de données a pour objet d'identifier les personnes, comme on peut déjà le faire au moyen des empreintes digitales. Il ne s'agit pas et il ne s'agira jamais de compiler des renseignements d'ordre personnel.

[Français]

Des modifications apportées au Code criminel permettront de protéger également contre tout mauvais usage les données génétiques des personnes justiciables du code de discipline militaire. Les autres modifications de cette loi auront pour effet de clarifier et de renforcer le régime de prélèvement de substances corporelles.

Conformément au nouveau principe dont je viens de vous parler, le Code criminel sera modifié de sorte que le système de justice militaire sera aussi assujetti à l'interdiction d'utiliser à des fins non autorisées les substances corporelles prélevées et les résultats de leur analyse génétique.

[Traduction]

Enfin, ce projet de loi comporte un certain nombre de modifications d'ordre pratique au Code criminel afin d'assurer la mise en oeuvre de la Loi sur l'identification par les empreintes génétiques. En juin dernier, le solliciteur général a créé un groupe de travail fédéral-provincial-territorial qui est chargé de la mise en oeuvre de la banque de données. Lors des consultations qui ont suivi, les responsables provinciaux de la partie publique ont dit craindre que la loi actuelle ne soit pas assez claire quant aux circonstances dans lesquelles le tribunal n'a pas à ordonner un prélèvement aux fins de la banque de données génétiques. Le Code criminel est donc clarifié à cet égard puisqu'il y est dit que la chose n'a pas à être ordonnée si l'avocat de la Couronne informe le tribunal que le profil génétique de la personne visée se trouve déjà dans la banque nationale de données génétiques. On rendra ainsi le système plus efficace et on évitera les dépenses inutiles occasionnées par la collecte et l'analyse en double des échantillons de substances corporelles prélevés sur les délinquants récidivistes.

Dans les cas où des délinquants sont envoyés dans une autre province avant qu'un ordre de prélèvement d'un échantillon n'ait été exécuté, les juges de tribunaux provinciaux pourront approuver l'ordre ou l'autorisation qui a été accordé dans la province d'où proviennent les délinquants en question.

[Français]

Deux dispositions du Code criminel, qui n'étaient pas encore en vigueur, seront abrogées à cause des conséquences négatives qu'elles auraient pour l'administration de la justice. Il s'agit de l'obligation, pour un agent de la paix, d'informer une personne visée par une ordonnance ou un mandat relatif aux analyses génétiques qu'elle peut exprimer sa préférence quant à la substance corporelle à prélever - sang, salive ou cheveu - et de l'obligation de l'agent de la paix de tenir compte de la préférence exprimée. Ces dispositions posent un problème parce que rien dans le droit pénal ne contraint la police à laisser une personne qui fait l'objet d'une enquête choisir le mode de collecte des éléments de preuve. Qui plus est, comme l'ont souligné les représentants des provinces et des territoires, les juges prescrivent déjà dans les mandats la procédure d'enquête à suivre, et si on laisse la personne choisir, cela équivaudrait à faire prévaloir sa décision contre celle d'un juge.

[Traduction]

Une autre disposition du Code criminel sera abrogée. Elle concerne l'entrée consensuelle dans la banque de données génétiques des résultats des prélèvements de substances corporelles fournies volontairement ou effectués en vertu d'un mandat autorisant la réalisation d'analyses génétiques durant l'enquête. Les laboratoires judiciaires canadiens ont fait savoir qu'ils n'étaient pas en faveur d'entrer les résultats des prélèvements de substances corporelles et les profils génétiques qui en découlent dans la banque de données dans ces cas-là, car les substances corporelles et les profils génériques sont habituellement conservés pour servir de pièce à conviction au cas où il y aurait un nouveau procès. En outre, les échantillons prélevés en vertu d'un mandat autorisant de tels prélèvements, contrairement à ceux qui seront prélevés pour la banque de données après la condamnation, sont assortis de codes d'identification personnels. Il sera donc difficile pour la GRC de protéger les droits à la vie privée des individus, ainsi que le prescrit la Loi sur l'identification par les empreintes génétiques. Pour éviter tout problème, on considère maintenant nécessaire de prélever de nouveaux échantillons de substances corporelles chaque fois qu'il y a une ordonnance pour leur inclusion dans la banque de données, c'est-à-dire après la condamnation.

En conclusion, le projet de loi S-10 propose certains amendements à la Loi sur la défense nationale, à la Loi sur l'identification des empreintes génétiques et au Code criminel en vue de permettre la mise en place effective d'une banque de données génétiques complète. Non seulement il donne suite aux recommandations du comité sénatorial, mais en plus il affine la loi sur la banque de données à des fins d'application pratique. Pris ensemble, ces changements auxquels nous avons dans cette Chambre pris une part importante aideront à protéger le droit des Canadiens à la vie privée tout en dotant la police, pour ses enquêtes, d'un outil de haute technicité qui permettra d'améliorer la sécurité publique.

(Sur la motion du sénateur Kinsella, au nom du sénateur Nolin, le débat est adjourné.)

[Français]

Projet de loi de 1999 pour la mise en OEuvre de conventions fiscales

Deuxième lecture-Ajournement du débat

L'honorable Céline Hervieux-Payette propose: Que le projet de loi S-3, Loi mettant en oeuvre un accord, des conventions et des protocoles conclus entre le Canada et le Kirghizistan, le Liban, l'Algérie, la Bulgarie, le Portugal, l'Ouzbékistan, la Jordanie, le Japon et le Luxembourg, en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion fiscale en matière d'impôts sur le revenu, soit lu une deuxième fois.

- Honorables sénateurs, je suis heureuse d'amorcer le débat à l'étape de la deuxième lecture du projet de loi S-3. Ce texte législatif a pour objet de mettre en oeuvre des conventions fiscales conclues entre le Canada et sept pays - le Kirghizistan, le Liban, l'Algérie, la Bulgarie, le Portugal, l'Ouzbékistan et la Jordanie - avec lesquels le Canada n'a pas de conventions fiscales en vigueur actuellement.

Le projet de loi porte également création d'une nouvelle convention remplaçant la convention actuelle avec le Luxembourg et met en oeuvre un protocole qui modifie des parties de la convention conclue avec le Japon. Avant d'approfondir le projet de loi, j'aimerais prendre un moment pour établir le contexte dans lequel il s'inscrit.

Au moment où le régime de l'impôt sur le revenu du Canada a été examiné et révisé en 1971, il en a notamment résulté un élargissement de notre régime de conventions fiscales avec d'autres pays. À l'heure actuelle, des conventions fiscales entre le Canada et 65 pays sont en vigueur. Depuis près de 30 ans, des efforts notables ont été déployés de façon soutenue afin de mettre à jour notre régime de conventions fiscales. Le projet de loi S-3 s'inscrit dans le cadre de ces efforts.

Honorables sénateurs, il vous intéressera peut-être de savoir que depuis 1976, 24 projets de loi de conventions fiscales ont été déposés au Parlement. Dans les deux dernières années seulement, des conventions ou des protocoles ont été établis avec 14 pays.

Les conventions fiscales sont particulièrement importantes pour le Canada parce qu'elles sont directement liées au commerce international de produits et de services et qu'elles ont donc une incidence directe sur le rendement économique intérieur.

Cette incidence est grande. Les exportations canadiennes représentent maintenant plus de 40 p. 100 de notre produit intérieur brut annuel. En outre, la santé économique du Canada chaque année repose également sur l'investissement étranger direct ainsi que sur l'influx d'information, de capitaux, de technologie, de redevances, de dividendes et d'intérêts.

Il est donc évident que les conventions fiscales prévues dans le projet de loi S-3 profiteront aux entreprises et aux particuliers canadiens qui exercent des activités et qui détiennent des investissements dans ces pays. Les contribuables canadiens seront notamment heureux d'apprendre qu'un taux d'imposition fixé par convention ne peut être augmenté sans un long préavis.

De plus, du simple fait de leur existence, les conventions fiscales créeront un climat de certitude et de stabilité pour les investisseurs et les négociants. Ce climat ne pourra qu'améliorer les relations économiques qu'entretient le Canada avec chacun de ces pays. En outre, en éliminant la nécessité de payer de l'impôt sur certains bénéfices d'entreprise et en établissant un mécanisme de règlement des problèmes éprouvés par les contribuables, il sera possible de réduire la complexité et l'incommodité du régime fiscal comme tel.

Le fait de simplifier le régime des conventions fiscales stimulera l'activité internationale, ce qui aura un effet favorable sur l'économie canadienne. Enfin, l'élimination ou l'atténuation de la double imposition qui pourrait autrement survenir dans le cadre des opérations internationales constituera le plus grand avantage.

Si l'on prend en compte la convention qui remplace celle en vigueur avec le Luxembourg, les nouvelles conventions prévues dans le projet de loi S-3 visent deux grands objectifs: éviter la double imposition et prévenir la fraude fiscale. Ces problèmes sont déjà pris en considération dans la convention en vigueur avec le Japon.

(1610)

Je me permets de signaler que dans le cas des conventions fiscales antérieures, ces conventions sont grandement inspirées du modèle de double imposition préparé par l'Organisation de coopération et de développement économiques. La possibilité de double imposition survient lorsqu'un contribuable réside dans un pays et qu'il gagne un revenu dans un autre pays.

Sans convention fiscale, les deux pays peuvent réclamer de l'impôt sur ce revenu. Les conventions de double imposition font en sorte que le même revenu ne puisse être imposé deux fois. Les conventions fiscales conclues par le Canada s'attaquent à ce problème de deux façons. Premièrement, en répartissant les droits d'imposition entre le pays de résidence du contribuable et le pays d'origine du revenu. Deuxièmement, si le revenu est néanmoins imposable dans les deux pays, en exigeant du pays de résidence qu'il considère le revenu comme étant exonéré d'impôt ou en accordant un crédit au titre de l'impôt payé au pays d'origine.

De même, les conventions de double imposition favorisent l'échange d'information entre les autorités fiscales en vue de prévenir la fraude ou l'évasion fiscale. C'est le second objectif de ces conventions. Le partage de l'information aide les autorités fiscales à cerner les cas de fraude et d'évasion fiscale et à y remédier.

En ce qui a trait aux conventions prévues dans le projet de loi S-3, chaque pays accordera l'allégement qui convient au titre de l'impôt payé dans l'autre pays partie à la convention fiscale.

Le Canada et les autres pays appliquent habituellement des impôts de retenue à divers genres de revenus de non-résidents. En l'absence d'une convention fiscale ou d'une exonération particulière prévue dans notre loi, notre taux obligatoire de retenue d'impôt pour les non-résidents sur ce revenu est de 25 p. 100. Le régime canadien de conventions fiscales prévoit plusieurs réductions de taux qui s'appliquent toutes de façon réciproque.

Le pays d'où est tiré le revenu peut retenir des impôts mais à un taux qui se limite habituellement à 5, 10 ou 15 p. 100 sur les dividendes et les bénéfices des succursales et à 10 p. 100 dans le cas des intérêts et des redevances. Dans certains cas, les redevances payées au titre des droits d'auteur, des logiciels, des brevets et du savoir-faire sont exonérées à la source.

La convention conclue avec le Kirghizistan, par exemple, limite le taux de la retenue d'impôt à 15 p. 100 dans le cas des dividendes, des intérêts et des bénéfices de succursales et à 10 p. 100 dans le cas des redevances. Il existe certaines exonérations pour ce qui est des intérêts ainsi que des redevances sur les droits d'auteur, les logiciels, les brevets et le savoir-faire.

La convention conclue avec le Liban prévoit une retenue d'impôt de 5 p. 100 sur les dividendes versés à une société qui détient au moins 10 p. 100 des voix de la société qui verse les dividendes et de 15 p. 100 dans tous les autres cas. Les bénéfices de succursales et les redevances sur les droits d'auteur, les logiciels, les brevets et le savoir-faire seront imposés à un taux de 5 p. 100 et les intérêts à un taux de 10 p. 100.

Pour l'Algérie, un impôt de 15 p. 100 sera retenu dans le cas de tous les dividendes, intérêts et redevances, et certaines exonérations sont prévues pour les intérêts et les redevances sur les logiciels et les brevets.

La convention conclue avec la Bulgarie prévoit l'application d'une retenue d'impôt de 10 p. 100 sur les dividendes payés à une société détenant au moins 10 p. 100 des voix de la société qui verse les dividendes, et de 15 p. 100 dans tous les autres cas. Dans le cas des intérêts et des redevances, le taux sera de 10 p. 100. En outre, il y aura un certain nombre d'exonérations pour les intérêts et les droits d'auteur.

Pour ce qui est de la convention conclue avec le Portugal, une société doit détenir au moins 25 p. 100 des voix de la société qui verse les dividendes pour avoir droit à une retenue d'impôt de 10 p. 100 sur les dividendes. Une retenue de 15 p. 100 s'appliquera dans tous les autres cas. Une retenue de 10 p. 100 s'appliquera aussi aux intérêts et redevances, à quelques exceptions près pour les intérêts.

En ce qui a trait à l'Ouzbékistan, le taux de retenue d'impôt qui s'appliquera aux dividendes payés à une société qui détient au moins 10 p. 100 des voix de société qui verse les dividendes sera de 5 p. 100 et de 15 p. 100 dans tous les autres cas. Un taux de 10 p. 100 s'appliquera aux intérêts et aux redevances, et un impôt de 5 p. 100 sera prélevé sur les droits d'auteur, les brevets, les logiciels et le savoir-faire.

La nouvelle convention conclue avec la Jordanie établit à 10 p. 100 la retenue d'impôt qui s'applique aux dividendes payés à une société détenant au moins 10 p. 100 des voix de la société qui verse les dividendes, et à 15 p. 100, celle qui s'applique dans tous les autres cas. La convention prévoit aussi une retenue de 10 p. 100 sur les intérêts et les redevances, certaines exonérations s'appliquant aux intérêts sur les titres gouvernementaux et garantis par le gouvernement.

Le projet de loi S-3 remplace l'actuelle convention de 1989 conclue avec le Luxembourg et prévoit l'application d'une retenue d'impôt de 5 p. 100 sur les dividendes pour une société qui détient au moins 10 p. 100 des voix de la société qui verse les dividendes, et de 15 p. 100 dans tous les autres cas. Un taux de 10 p. 100 s'appliquera aux intérêts et aux redevances, de nouveau à quelques exceptions près pour les intérêts et les redevances sur les logiciels, les brevets et le savoir-faire.

Le projet de loi S-3 modifie également l'actuelle convention de 1986 conclue avec le Japon. Le protocole avec le Japon fait passer de 10 à 5 p. 100 l'impôt retenu sur les dividendes entre sociétés et il éclaircit un certain nombre d'autres dispositions.

En outre, le protocole porte précisément sur la question des impôts japonais d'entreprise en exonérant de ces impôts les sociétés canadiennes qui exploitent des navires ou des aéronefs dans le domaine du transport intercontinental, une mesure de courtoisie déjà accordée par les provinces canadiennes aux sociétés japonaises qui exercent des activités semblables.

Honorables sénateurs, les conventions que renferme le projet de loi S-3 portent aussi sur d'autres questions de conventions fiscales. Par exemple, le pays d'origine peut imposer les gains en capital réalisés à l'aliénation d'un bien immobilier, d'actifs commerciaux et d'actions dans les sociétés immobilières ou de la participation dans des fiducies ou des sociétés de personnes immobilières.

La discrimination fondée sur la nationalité d'un contribuable est interdite. Cependant, les mesures incitatives comme la déduction accordée aux petites entreprises et le crédit d'impôt pour dividendes dont profitent les Canadiens ne sont pas touchées.

Avant de conclure, j'aimerais me pencher sur la question de la migration des contribuables. Quatre des conventions prévues dans ce projet de loi tiennent compte d'une certaine façon des règles sur la migration des contribuables qui ont été proposées par le ministre des Finances et qui feront partie de la loi d'exécution du budget de 1999.

Ces propositions visent à modifier la Loi de l'impôt sur le revenu de façon à ce que le Canada conserve le droit d'imposer les gains réalisés par les immigrants pendant leur séjour ici.

Au moment de rendre public le projet de loi en décembre dernier, le ministre a annoncé que le Canada renégocierait ses conventions fiscales pour tenir compte des nouvelles règles afin d'éviter la double imposition. En attendant que ces règles aient force de loi, le Canada a négocié ses conventions fiscales de manière à éviter la double imposition au moment où les gains réalisés par des immigrants, avant leur départ, sont imposés.

En ce qui concerne le projet de loi S-3, les conventions avec le Luxembourg, le Portugal, le Liban et la Jordanie tiennent compte de la migration des contribuables. Cependant, les conventions avec l'Ouzbékistan, la Bulgarie, l'Algérie et le Kherghizistan n'en tiennent pas compte étant donné qu'elles ont été négociées avant l'annonce des propositions. Le Japon a demandé que cette question de la migration des contribuables soit examinée dans le cadre de futures négociations entourant la convention.

Pour conclure, j'aimerais souligner que les conventions fiscales que renferme ce projet de loi sont conçues pour atténuer la double imposition internationale des revenus transférés d'un pays à un autre. Ces conventions fiscales permettront de faire en sorte que les politiques fiscales canadiennes soient appliquées uniformément aux opérations conclues avec le Kherghizistan, le Liban, l'Algérie, la Bulgarie, le Portugal, l'Ouzbékistan, la Jordanie, le Japon et le Luxembourg. Elles créeront également un climat de stabilité pour les investisseurs et les négociants canadiens dans ces pays.

Honorables sénateurs, le projet de loi S-3 est un texte législatif de nature courante qui vise une imposition équitable et le maintien de bonnes relations internationales et commerciales.

L'équité du régime fiscal - qui, comme nous le savons tous, constitue une priorité de l'État - requiert qu'aucun Canadien ne se trouve pris au piège de la double imposition. Or, ces conventions fiscales visent précisément à éliminer la double imposition.

Avant de conclure, j'aimerais souligner le travail magnifique de l'équipe de spécialistes qui ont accompagné ce processus long et minutieux de notre gouvernement. Ces fonctionnaires ont servi les intérêts du Canada sous l'habile direction de leur ministre respectif aux Finances et à la Justice. Ils méritent tous nos remerciements. Comme ce texte de loi ne soulève aucune controverse, je vous invite instamment à l'appuyer.

(Sur la motion du sénateur Lynch-Staunton, le débat est ajourné.)

[Traduction]

(1620)

Le discours du trône

Motion d'adoption de l'Adresse en réponse-Suite du débat

L'ordre du jour appelle:

Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur Kroft, appuyée par l'honorable sénateur Furey, tendant à l'adoption d'une Adresse à Son Excellence la Gouverneure générale en réponse au discours qu'Elle a prononcé lors de l'ouverture de la deuxième session de la trente-sixième législature.-(3e jour de la reprise du débat.)

L'honorable William M. Kelly: Honorables sénateurs, je suis ravi de voir qu'autant de sénateurs de ce côté-ci soient restés pour m'entendre cet après-midi. Je me réjouis de prendre part au débat sur la motion d'adoption de l'Adresse en réponse au discours du Trône. Comme je compte me retirer de mes fonctions au Sénat l'année prochaine, cette occasion est la dernière pour moi de participer à ce débat particulier. J'ai donc bien l'intention d'en profiter au maximum.

Je me félicite de l'engagement pris dans le discours du Trône «de veiller à ce que les Forces canadiennes soient en mesure d'appuyer le rôle du Canada pour contribuer à la sécurité dans le monde». Gardons-nous cependant de sous-estimer la mesure dans laquelle nous sommes tenus d'honorer cet engagement. Depuis 1988, les dépenses engagées au titre de la défense nationale ont diminué en dollars constants, année après année, au point que le pouvoir d'achat lié au budget de la défense est aujourd'hui à peu près équivalent à celui du début des années 70. Les moyens dont nous disposons pour acheter le matériel nécessaire et en assurer l'entretien ont été particulièrement affaiblis par suite de coupes budgétaires. L'effectif de la Force régulière, qui était de 87 000 personnes en 1989-1990, devrait, selon les prévisions, s'établir à 60 000 d'ici à la fin de l'exercice financier en cours. Nous ne sommes déjà plus en mesure de constituer des unités combattantes à l'échelon de la brigade, soit le minimum acceptable pour mener une action militaire durable. Selon les données publiées par l'OTAN, le Canada s'inscrit au dernier rang des pays membres pour ce qui est des effectifs de la Force régulière ainsi que de la Première réserve et de la Réserve secondaire.

Il y en a qui prétendent que la fin de la guerre froide a aboli la nécessité de maintenir une capacité militaire imposante et permanente et a créé une perspective de «dividende de paix». Comme je l'ai souvent dit en cette Chambre, je crois qu'ils se trompent totalement. Les menaces à la sécurité et leurs sources ont peut-être changé, mais le monde d'aujourd'hui est potentiellement plus instable, dangereux et imprévisible que jamais. La possibilité de conflits locaux et régionaux déclenchés par des mouvements séparatistes nationalistes est toujours présente dans tous les coins du globe. La menace de terrorisme par des États renégats et des groupes rebelles existe toujours. Nous avons un rôle constant et important à jouer au sein des alliances de défense régionales auxquelles nous appartenons. Tout cela demande des militaires compétents, motivés, disposant de tout le matériel nécessaire, souples et capables de réagir.

Honorables sénateurs, je persiste à croire que les répercussions internationales des échecs de certains États constitueront la principale menace à la sécurité du Canada et des Canadiens dans un avenir prévisible. Que ce soit en Afrique, dans l'ex-Union soviétique, en Asie du Sud-Est, en Amérique centrale ou en Amérique du Sud, il arrive que des États se désorganisent, comme on l'a vu déjà, pour diverses raisons économiques, environnementales ou politiques. La désintégration d'un État crée un vide de pouvoir que s'empressent souvent de combler des groupes criminels ou terroristes qui, à leur tour, menacent la sécurité des autres États. On trouve des exemples de cela dans l'ex-Union soviétique. L'effritement du pouvoir civil a fait naître toute une série d'activités sordides.

Honorables sénateurs, le mois dernier par exemple, les autorités russes ont arrêté à Vladivostok six personnes qui s'apprêtaient à sortir du pays six kilogrammes d'uranium 238 pour le vendre à l'extérieur. Cet uranium provenait d'une usine où l'on démantelait certaines parties du stock nucléaire soviétique et des terroristes ou des groupes criminels auraient pu l'utiliser pour fabriquer des bombes nucléaires petites certes, mais très destructrices. C'est à cause de menaces de ce genre que nous devons demeurer vigilants et maintenir en permanence un bon service de renseignement de sécurité et une armée compétente. Je félicite le gouvernement de son engagement envers les militaires, mais j'espère voir davantage de détails dans le prochain budget fédéral.

Le discours du Trône précise les plans du gouvernement pour l'arrivée du nouveau millénaire. On dit souvent que ce premier ministre et son gouvernement manquent de vision. Il y a beaucoup de belles paroles dans le discours du Trône sur la préparation au nouveau millénaire. Je reconnais qu'à plusieurs reprises on parle de faciliter, par exemple, le commerce électronique et l'accès à Internet, mais cela ne constitue pas une vision globale pour garantir l'avenir du Canada. La mondialisation des économies signifie que toutes les économies deviennent de plus en plus interdépendantes. En fait, bientôt, il n'y aura plus ce qu'on appelle une «économie intérieure». Il n'y aura plus qu'une seule économie et un seul marché. Les économies, les marchés et la concurrence ne seront pas limités par les frontières nationales ou régionales. Il n'y aura plus de frontières. Entre-temps, tous les investisseurs et gens d'affaires internationaux procèdent continuellement à un examen détaillé qui n'aurait jamais été possible auparavant, de toutes les économies intérieures, y compris celle du Canada. Les progrès dans les technologies des télécommunications, surtout les progrès dans le commerce électronique, font que des investissements peuvent être effectués et des décisions peuvent être prises en millisecondes.

Les capitaux peuvent entrer dans un pays ou en sortir en un instant. L'année dernière, nous avons été témoins peut-être du premier exemple des répercussions des forces que sont la mondialisation et le commerce électronique sur l'économie des nations de l'Asie du Sud-Est et du Pacifique. Ces importantes fuites de capitaux représentaient un vote de non-confiance par les investisseurs internationaux et la communauté des affaires. Les répercussions se font sentir de nos jours dans des pays individuels, y compris au Canada, et dans le monde entier. À la suite de la crise asiatique, le cours du dollar canadien a baissé par rapport au dollar américain alors que les cambistes ont acheté le plus de dollars américains possible pour se protéger contre les devises asiatiques. Nos exportations vers l'Extrême-Orient ont souffert alors que la crise a entraîne une chute des prix des produits de base.

Les capitaux et les entreprises ne sont plus liés par la géographie, le temps ou les allégeances nationales. Une économie ou un gouvernement qui ne se comporte pas comme les banques, les financiers, les courtiers en valeurs mobilières et les agences de cotation dans les capitales financières le voudraient peut faire l'objet, rapidement et arbitrairement, il est vrai, de sanctions très dures. Même si nous n'aimons peut-être pas cela, il n'en demeure pas moins que le Canada n'a pas d'autre option que d'enfiler ce qu'on appelle un «corset économique» qui montre à tous que le Canada est un bon endroit où investir et faire des affaires au cours du nouveau millénaire. L'art de gouverner sera d'ajuster ce corset économique afin d'améliorer la situation du Canada et des Canadiens et de protéger les choses qui sont spéciales pour les Canadiens et qui font partie de notre mode de vie, comme par exemple, notre système national de soins de santé.

Quoi qu'il en soit, au moment où nous allons aborder le nouveau millénaire, le Canada a beaucoup à faire. La dette globale des paliers fédéral, provincial et municipal est trop élevée et continue de croître. Nos niveaux d'imposition personnelle représentent un fardeau excessif. En dépit d'améliorations importantes qui ont été apportées au cours des deux dernières décennies, notre économie comprend toujours beaucoup de règlements et de paperasserie. Nous sommes toujours largement tributaires des ressources naturelles. Environ 40 p. 100 du PIB du Canada découlent du commerce de nos ressources naturelles. Il y a toujours de trop nombreux obstacles au commerce, à l'investissement et à la mobilité de la main-d'oeuvre au pays. En dépit des progrès considérables accomplis au cours des dernières années, nos infrastructures de base dans les secteurs de l'adduction d'eau, des égouts et du transport, particulièrement dans les grandes villes, exigent des rénovations et des améliorations importantes. Nous devons faire plus en vue d'améliorer notre productivité. Nous devons en faire plus dans les secteurs de l'éducation, de la recherche et du développement afin de devenir le genre de société innovatrice et adaptable qui va non seulement survivre mais qui va aussi prospérer au cours du prochain millénaire.

Il existe toujours un écart considérable entre ce que le Canada est et ce qu'il pourrait devenir. À cet égard, je félicite le gouvernement qui a pris l'engagement dans le discours du Trône de présenter de nouveau une mesure législative visant à protéger les renseignements personnels et commerciaux dans un univers numérique et à reconnaître les signatures électroniques. De semblables initiatives sont essentielles si le Canada et les Canadiens veulent être en mesure de bénéficier pleinement des possibilités offertes par Internet et le commerce électronique. Le document de référence ne se prononce cependant pas sur ce que le gouvernement entend faire en ce qui concerne les questions liées au chiffrement des communications électroniques et des bases de données. Bien que le chiffrement soit essentiel pour protéger la confidentialité des communications personnelles et commerciales, il présente un très grave problème pour les organismes de sécurité, de renseignement et d'application de la loi et leur aptitude à déchiffrer les communications illicites et les transactions illégales, notamment dans le cas du blanchiment d'argent.

Honorables sénateurs, l'évocation du blanchiment d'argent me rappelle que le gouvernement s'est engagé dans le discours du Trône à mettre l'accent sur les menaces nouvelles auxquelles doivent faire face les Canadiens, comme le blanchiment de l'argent. Selon le ministère des Finances, de 5 à 17 milliards de dollars ou, comme je l'ai lu dans le journal ce matin, de 17 à 40 milliards de dollars transitent chaque année illégalement au Canada ou par l'intermédiaire du Canada. Le Groupe d'action financière sur le blanchiment de capitaux, qui se compose de 26 pays, comprenant le Canada, la Commission européenne et le Conseil de coopération du Golfe arabe, a constamment critiqué l'inaction du Canada. La promesse faite dans le discours du Trône est encourageante. Toutefois, nous avons du pain sur la planche.

(1630)

Honorables sénateurs, le fait que le discours du Trône parle insuffisamment du problème de l'immigration illégale au Canada et par le Canada m'a franchement beaucoup gêné. Nous savons qu'afin d'être prospère durant le prochain millénaire, le Canada doit continuer d'attirer des immigrants du monde entier. Il est cependant préoccupant que notre pays n'atteigne pas ses objectifs quant au nombre d'immigrants reçus.

Le Canada a attiré 13 p. 100 d'immigrants de moins en 1998 qu'au cours de l'année précédente. Nous semblons connaître des difficultés particulières pour attirer des travailleurs et des professionnels compétents. Toutefois, cela ne signifie pas que nous devions fermer les yeux sur le problème croissant de l'immigration illégale au Canada, en provenance de diverses régions du monde. Il s'agit d'un problème urgent, dont les causes profondes résident dans notre processus de reconnaissance du statut de réfugié.

Honorables sénateurs, la rectitude politique rend difficile la tenue d'un débat ouvert et rationnel sur nos politiques et nos procédures liées au statut de réfugié. Toute personne qui lancerait un tel débat ou qui remettrait en question le statu quo court le risque d'être qualifiée de raciste ou d'anti-immigrant. Il ne sert à rien de signaler que la plupart des immigrants illégaux ne fuient pas la persécution pour leurs croyances religieuses, politiques ou autres, mais que ce sont des réfugiés voulant améliorer leur situation économique.

De même, il ne sert à rien de faire remarquer que ces immigrants illégaux ont enfreint la loi canadienne et que c'est une très mauvaise manière de commencer une nouvelle vie au Canada. Je suis assez fier que le Comité spécial sur la sécurité et les services de renseignement que j'ai présidé récemment ait identifié et démontré le problème croissant de l'immigration illégale organisée au Canada avant qu'il ne soit très médiatisé et n'atteigne le summum de sa médiatisation l'été dernier.

L'immigration illégale au Canada menace l'intégrité de toute notre politique d'immigration. Ceux qui demandent à venir au Canada en se soumettant à toutes les procédures voient les illégaux les devancer. On sait aussi qu'une grande partie de l'immigration illégale est le fait d'organisations criminelles. Non seulement ces organisations sont particulièrement méchantes, mais elles font aussi payer très cher aux immigrants, aux plans financier et personnel, le privilège de venir en Amérique du Nord. Un grand nombre de ces immigrants sont réduits à la servitude pour payer leurs dettes aux gangs criminels, aux vipères, qui les ont fait passer illégalement au Canada.

J'ai été heureux d'apprendre qu'un juge de Londres avait récemment condamné quatre passeurs à des peines d'emprisonnement variant entre 7 et 14 ans. Selon les documents déposés au tribunal, les passeurs avaient extorqué environ un million de dollars à leurs clients. Le juge a qualifié leurs activités de méchantes, cruelles et impitoyables. Nous ne faisons de cadeau à personne en fermant les yeux sur l'immigration illégale. Ceux qui profitent le plus de notre laxisme et de notre approche naïve de la détermination du statut de réfugié sont les éléments criminels qui se livrent à cette activité.

Nous devons reconnaître que l'immigration illégale n'est pas un problème strictement national. Il a aussi une dimension internationale et surtout bilatérale, dans nos relations avec les États-Unis. L'expérience montre clairement qu'un grand nombre sinon la majorité des immigrants illégaux qui s'introduisent au Canada finissent par se retrouver aux États-Unis ou entendent s'y rendre. Nous sommes devenus le maillon faible pour l'immigration illégale organisée aux États-Unis, et cela est plus dangereux, à dire vrai, que le problème d'immigration entre les États-Unis et le Mexique, en raison du haut niveau d'organisation et d'infrastructure qui caractérise l'activité des passeurs au Canada.

Si le Canada veut collaborer étroitement avec le gouvernement américain pour moderniser notre frontière commune pendant le XXIe siècle, comme on le promet dans le discours du Trône, cette modernisation doit faire en sorte que nos autres frontières deviennent moins poreuses pour les organisations de passeurs.

À mon avis, la difficulté ne réside pas dans nos lois, mais dans leur application. Les problèmes d'application ont été signalés à maintes reprises.

L'étude réalisée par le groupe de travail mis sur pied par l'ancien ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration a conclu qu'il n'y avait pas de système efficace en place pour vérifier le respect des conditions imposées par les agents d'immigration aux demandeurs du statut de réfugié.

En outre, le ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration ne surveille pas les allées et venues de la plupart des demandeurs du statut de réfugié, y compris les milliers de personnes qui attendent une audition en matière d'immigration ou qui sont sous le coup d'une expulsion. On prend les empreintes digitales des demandeurs du statut de réfugié aux points d'entrée afin de pouvoir déterminer s'ils ont un casier judiciaire ou s'ils constituent une menace à la sécurité de l'État. Toutefois, les agents d'immigration ont dit au comité sénatorial spécial que la formation et l'équipement dactyloscopiques dont ils disposent sont tels que les empreintes qu'ils prennent sont à toutes fins pratiques inutiles et d'habitude simplement stockées. Par conséquent, nous avons besoin non pas de nouvelles lois ou mesures, mais d'une volonté politique et des ressources nécessaires pour mettre en oeuvre et appliquer les lois et les mesures existantes.

La détention d'immigrants illégaux est manifestement une question délicate. Contrairement aux États-Unis et à d'autres pays, nous n'emprisonnons pas les immigrants illégaux à moins d'avoir des raisons de croire qu'ils sont des criminels ou qu'ils constituent une menace pour la sécurité de l'État.

La ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration s'oppose à la détention des immigrants illégaux parce qu'ils n'ont rien fait de mal. Elle estime donc que les emprisonner serait du moins contraire à la Charte des droits et libertés.

À mon sens - et je sais que ce n'est pas une opinion populaire - les immigrants illégaux ont fait quelque chose de mal. Ils ont sciemment et volontairement violé la législation canadienne de l'immigration et cela devrait être une raison suffisante de les emprisonner jusqu'à leur audience relative à la reconnaissance du statut de réfugié. Toutefois, le processus doit être accéléré. Les décisions doivent venir en temps opportun. On ne peut pas détenir des gens pendant des mois parce qu'on manque de ressources pour accomplir le travail promptement.

Enfin, honorables sénateurs, je félicite le gouvernement de s'être engagé à renforcer la capacité de la GRC et d'autres organismes de contrer les menaces à la sécurité publique au Canada et de collaborer avec les forces de l'ordre d'autres pays.

C'est louable, mais, je le répète, il faut décider jusqu'où on peut aller. Comme le rapporte le comité sénatorial spécial, le budget de fonctionnement des organisations fédérales du renseignement de sécurité a été réduit de 40 p. 100 en moyenne depuis 1993. Cela complique considérablement les choses pour notre secteur de la sécurité et du renseignement de sécurité qui doit s'occuper des nouvelles menaces et des nouveaux types d'activités criminelles tels que le blanchiment d'argent, la contrebande de toutes sortes, du tabac aux immigrants, en passant par les boissons alcoolisées, les stupéfiants et les cartes de crédit, et des nouvelles tendances terroristes telles que le terrorisme électronique ou cyberterrorisme. Encore là, je suis impatient de voir les détails dans le prochain budget.

Honorables sénateurs, à l'approche du nouveau millénaire, il convient de réfléchir aux cent dernières années. Le siècle qui s'achève a été marqué par une instabilité incroyable et des massacres sanglants sans précédent attribuables essentiellement au nationalisme inconsidéré et à l'extrémisme idéologique. Ce fut également un siècle de progrès sans précédent. Les gens qui ont vécu en 1899 ne reconnaîtraient plus le monde d'aujourd'hui.

Il faut espérer que nous avons tiré des leçons du XXe siècle et que les progrès réalisés nous vaudront un nouveau siècle plus juste, moins déchiré par les guerres et les excès de nationalisme et d'idéologie, où la liberté économique et politique sera respectée. Si nous avons appris nos leçons, le prochain siècle nous réservera à nous et au monde entier des possibilités inimaginables.

Enfin, honorables sénateurs, dans le monde complexe vers lequel nous nous dirigeons, je souhaite la meilleure des chances au gouvernement, à celui au pouvoir actuellement et à ceux qui lui succéderont. Il faudra énormément de sagesse pour réussir à l'avenir, beaucoup plus que par toutes les années antérieures.

L'honorable B. Alasdair Graham: Honorables sénateurs, permettez-moi d'abord de féliciter les sénateurs Kroft et Furey pour l'éloquence avec laquelle ils ont proposé et appuyé l'adresse en réponse au discours du Trône. Leur intervention leur fait grand honneur et fait également honneur au Sénat. Cela nous permet d'envisager un brillant avenir pour notre institution.

D'ailleurs, je félicite tous les honorables sénateurs qui ont participé à l'un des plus importants débats parlementaires de notre histoire. Je remercie en particulier le leader du gouvernement et le leader de l'opposition pour leurs bonnes paroles.

Je tiens à dire au sénateur Lynch-Staunton et à tous les honorables sénateurs que je leur suis reconnaissant de leur patience, de leur bonne humeur et de la qualité des conseils qui m'ont été prodigués pendant les périodes de questions et à d'autres occasions lorsque l'ex-leader du gouvernement a été appelé à participer, au cours des deux dernières années et demie, à des échanges parfois assez vigoureux. Il y a peut-être eu quelques rares occasions où il a été nécessaire de faire appel à l'assistance de collègues, mais j'espère que tous les honorables sénateurs comprendront que je me suis toujours efforcé de fournir l'information la plus précise et la plus complète possible compte tenu des circonstances.

(1640)

Honorables sénateurs, lorsque Vaclav Havel, président de la République tchèque, a pris la parole devant les deux Chambres du Parlement lors d'une récente visite au Canada, il a parlé d'un monde en plein milieu d'une période de changements radicaux. «La plus grande valeur, c'est l'humanité», a-t-il dit, «et l'État existe pour servir le bien public en laissant les droits et les libertés s'épanouir à leur maximum.» Il a ensuite vanté le Canada, pays qui trouve de nouvelles voies permettant de rendre le monde meilleur et a ajouté que «l'éthique canadienne» jouissait d'un profond respect dans son pays.

L'éthique canadienne est reconnue par beaucoup d'autres pays, qui la partagent. Le président Chirac y a fait allusion lors du Sommet de la Francophonie, à Moncton, lorsqu'il a décrit le Canada comme étant «un vaste pays qui cherche et trouve des règles de coexistence dans la paix et la tolérance».

Comme le président Clinton, qui a mis de côté son discours préparé au Mont-Tremblant et a parlé avec son coeur de l'importance historique de la fédération canadienne, nous tous, qui écoutions, avons pensé aux fondements intellectuels sur lesquels a été édifié notre pays, à la réforme et à la justice sociale, à la compassion et à l'attachement au peuple. L'attachement canadien au bien public est un concept qui se retrouve au coeur de cette collectivité bien spéciale. Il a fait de notre société honnête, civilisée et tolérante un lieu d'espoir et de promesses pour des millions de personnes de partout dans le monde.

Les racines de notre volonté de faire du Canada un meilleur endroit plongent profondément dans le terreau d'un état permanent et d'une passion nationale pour l'égalité équilibrée, d'un État-nation mu par le moteur de la réforme, par le bien-être des citoyens, ce que John Ralston Saul explique de façon si convaincante dans Réflexions d'un frère siamois: le Canada à la fin du XXe siècle. En écoutant sa femme, Son Excellence la Gouverneure générale du Canada, lire le discours du Trône le 12 octobre dernier, il m'est apparu clairement que la passion nationale permanente, la passion pour un équilibre et pour le service de la population, le coeur de ce que nous sommes et l'essence de nos origines, reste, en esprit, aussi vitale et dynamique qu'au tout début de notre histoire.

À bien des égards, honorables sénateurs, le discours du Trône nous a propulsés dans l'avenir. Il indique la voie aux Canadiens qui aspirent à une véritable identité, à une véritable appartenance ainsi qu'à toutes les valeurs qui constituent le fondement de notre identité nationale en cette fin de décennie difficile et périlleuse certes, mais combien passionnante et riche en aventures.

Maintenant que le gouvernement a mis de l'ordre dans les finances publiques et que l'économie est forte et en plein essor, nous pouvons passer à une nouvelle ère de gestion publique financièrement responsable, mais à visage humain. Grâce à l'amélioration continue de la santé financière du pays, nous nous efforcerons davantage d'accroître le revenu disponible des ménages canadiens et de permettre aux entreprises du pays de mieux soutenir la concurrence dans l'économie fondée sur le savior.

Nous avons commencé à alléger les impôts même avant la suppression du déficit budgétaire. Notre stratégie équilibrée nous a permis de réduire les impôts de quelque 16,5 milliards de dollars sur trois ans et, par la même occasion, de rayer 600 000 Canadiens des rôles d'imposition fédéraux, tout en faisant des investissements clés dans des secteurs comme l'acquisition de connaissances et la santé, ainsi que l'aide à l'enfance, des secteurs qui sont vraiment importants pour les Canadiens. Nous savons cependant que les réductions d'impôts ne constituent qu'un élément de l'équation. Les Canadiens s'attendent à beaucoup plus du gouvernement. Ils rejettent la notion que le gouvernement n'est qu'un percepteur d'impôts et un comptable - qu'il ne pense qu'aux résultats à court terme et au rendement net. Les Canadiens ne veulent pas de grands écarts entre les riches et les pauvres.

S'ils ont accepté les durs sacrifices des dernières années, croyant qu'ils avaient le devoir de le faire en tant que citoyens de notre grand pays, ils ont constamment fait savoir aux pouvoirs publics que l'assurance-maladie universelle, par exemple, n'est pas négociable. Ils ont réaffirmé que l'assurance-maladie universelle constitue un fondement de l'identité canadienne. Des soins de santé abordables et de qualité sont une caractéristique de la vie au Canada. C'est une marque de notre société, l'expression de la compassion qui fait du Canada un pays si unique.

Dans le discours du Trône, le gouvernement libéral réitère son engagement ferme à maintenir l'un des meilleurs régimes publics du monde. Au coeur de nos efforts en matière d'innovation se trouvent les instituts canadiens de la santé qui feront la promotion de la recherche médicale à la fine pointe de la technologie dans toutes les régions et toutes les disciplines et qui obtiendront une subvention de 500 millions de dollars. Le gouvernement veut travailler avec ses partenaires provinciaux et autres sur des approches novatrices en matière de soins à domicile, d'assurance-médicaments et de prestation de services afin de garantir que les Canadiens disposent du meilleur système de santé possible.

Honorables sénateurs, nous sommes à l'aube d'un nouveau siècle. La connaissance et l'innovation sont les pierres angulaires de la réussite dans le monde informatisé. Le discours du Trône nous propose une vision d'un pays qui est prêt à saisir les possibilités offertes par un monde où la connaissance est synonyme de pouvoir. Dans le village planétaire, nos chercheurs sont en concurrence avec ceux du monde entier, et non pas simplement avec ceux à l'échelle locale. Ils sont en concurrence dans une économie, un marché mondial. Nous savons fort bien que cela a des répercussions importantes sur la politique gouvernementale parce que nous participons à une course à l'échelle mondiale, une course où la vision nationale est indispensable, où les partenariats jouent un rôle clé et où le gouvernement met en place une structure pour mieux libérer l'énergie extraordinaire des Canadiens de toutes les couches de la société.

Dans un monde où les frontières virtuelles font partie intégrante de la réalité en évolution, une fois que les murs de protection sont tombés, le gouvernement doit jouer un rôle visible, très crédible et pertinent dans la vie quotidienne des Canadiens. Depuis les six dernières années de son mandat, le gouvernement actuel a élaboré une stratégie globale et ambitieuse pour placer le Canada à l'avant-garde de l'économie du savoir qui sera à l'honneur au XXIe siècle. Il a fallu pour cela travailler activement en partenariat avec nos universités et nos laboratoires, nos industries axées sur le savoir, les provinces, nos localités, ainsi que nos organisations bénévoles et nos organismes culturels qui font un travail excellent et extraordinaire.

(1650)

Le gouvernement a reconnu que tous les Canadiens doivent avoir accès à l'acquisition continue du savoir et pouvoir se prévaloir de la promesse que représente la révolution numérique. Nous croyons que les collectivités branchées ne sont pas et ne peuvent être l'apanage de ceux pour qui le savoir est synonyme de pouvoir. Elles appartiennent à tous les Canadiens.

Notre stratégie qui vise à brancher les Canadiens fera du Canada le pays le plus branché du monde et elle part du principe que l'avenir de notre pays sera étroitement lié à la création d'une société juste et unie dans la possibilité d'accéder à l'information. Dans le cadre de cette stratégie, des initiatives comme Rescol, le Programme d'accès communautaire et le programme Ordinateurs pour l'école ont permis au Canada de devenir une véritable démocratie axée sur le savoir, un endroit où tous les Canadiens ont la possibilité de voyager en première classe sur l'autoroute de l'information.

Convaincus que la salle de classe est le moteur de notre démocratie axée sur le savoir, nous avons mis sur pied la Stratégie canadienne pour l'égalité des chances, qui a aidé des centaines de milliers de Canadiens depuis 1998 et qui comprend la subvention pour l'épargne-études, la subvention pour fins d'étude et les bourses du millénaire. Nous avons mis en place une infrastructure propice à la recherche.

C'est pourquoi nous augmentons notre appui à l'égard des conseils subventionnaires et nous nous lançons dans une nouvelle entreprise audacieuse, soit la création des 2 000 chaires d'excellence en recherche du XXIe siècle dans les universités canadiennes. Le président de l'Université de Toronto, Robert Pritchard, a signalé que cette initiative à elle seule équivalait à recruter le personnel enseignant d'une grande université presque du jour au lendemain, un gain net de cerveaux incommensurable. Comme le premier ministre l'a dit:

Nous voulons faire du Canada un pôle d'attraction pour les étudiants et les diplômés canadiens, pour les étoiles mondiales de la recherche à l'heure actuelle, ainsi que les étoiles montantes.

Nous voulons faire du Canada un endroit où ils ont envie de rester, non pas un endroit qu'ils doivent quitter parce qu'il ne leur offre aucune possibilité. Nous voulons en faire un endroit où l'éducation, la recherche et la poursuite de l'excellence sont considérées comme les ressources les plus précieuses. Un endroit où un environnement sain et une bonne qualité de vie vont de pair, un endroit où nos jeunes comprennent que gagner n'est pas uniquement une question de part de marché, mais bien une question de valeur, de service et d'attachement à nos racines. Un pays qui a une voix morale et dont les citoyens sont déterminés à créer une société mondiale durable et un monde meilleur enraciné dans le fertile terreau de l'humanisme.

Mon ami Hodding Carter a déjà écrit qu'il n'y a que deux choses durables que nous pouvons espérer laisser à nos enfants, soit des racines et des ailes - des racines pour marcher sur la terre avec compassion et force, des ailes pour voler plus loin vers l'avenir.

Ce sont nos enfants qui nous conduiront là. Ils nous conduiront là avec leur génie et leurs rêves, avec leurs espoirs et leur amour, avec leur talent et leur ingéniosité, avec leurs yeux grand ouverts sur un monde meilleur. Cependant, les défis qui se dressent devant eux sont de taille. Leurs responsabilités sont énormes. Honorables sénateurs, ce sont eux, nos enfants, qui doivent conquérir l'avenir.

Le gouvernement a pris un engagement envers les bébés et les enfants du Canada. Nous nous sommes engagés à leur permettre de partir du bon pied dans la vie. Nous nous sommes engagés à leur offrir un abri, de la nourriture et un environnement sain. Nous voulons permettre aux parents de passer le plus de temps possible avec leurs enfants pendant les mois qui suivent leur naissance. Nous voulons aider les parents qui doivent trop souvent faire des choix difficiles entre leurs responsabilités professionnelles et familiales. Nous voulons mettre sur pied un régime légal qui permettra d'assurer le bien-être des enfants en cas de séparation ou de divorce des parents. Nous voulons remettre davantage d'argent dans les budgets des familles canadiennes en réduisant les impôts.

Oui, nos enfants ont des droits. Ils ont le droit d'espérer. Ils ont le droit de rêver. Ils ont le droit à l'égalité dans ce magnifique pays qui est le nôtre et qui représente un symbole d'espoir et de promesses pour des millions de personnes au monde, le Canada.

L'honorable Noël A. Kinsella (chef adjoint de l'opposition): Honorables sénateurs, avant de faire mes commentaires dans ce débat sur le discours du Trône, j'aimerais tout d'abord offrir mes félicitations et mes meilleurs voeux à son Excellence la Gouverneure générale au début de ce nouveau mandat.

Honorables sénateurs, à propos du rôle de la monarchie au Canada, notre collègue, le sénateur Beaudoin, nous a rappelé que l'article 17 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, notre loi constitutionnelle fondamentale, stipule que le Gouverneur général, les 301 députés dont se compose maintenant l'autre endroit et les 105 sénateurs dont se compose le Sénat constituent notre Parlement du Canada. Ces 407 Canadiens assument un grand privilège et une énorme responsabilité. Ils servent à eux seuls 30 millions de Canadiens dans notre Parlement.

Voici quelques-unes des questions qui ne cessaient de me venir à l'esprit en réfléchissant sur le discours du Trône et en réfléchissant sur le Parlement: comment se comporte le navire de l'État aux yeux des 407 parlementaires canadiens qui sont chargés de le surveiller? Est-ce que la pratique de la liberté est plus forte ou plus faible? Le Canada que nous laisserons après notre séjour au Parlement sera-t-il meilleur?

En réponse à ces questions, j'ai été amené à la conclusion que nos libertés au Canada reposent sur la base d'une sorte de trinité d'institutions fondamentales. Premièrement, l'infrastructure judiciaire avec une magistrature indépendante. Deuxièmement, le Parlement et les autres assemblées législatives d'un bout à l'autre du Canada. Troisièmement, le secteur bénévole, ou non gouvernemental, de la société canadienne.

(1700)

Tandis que je réfléchissais à la première institution, l'infrastructure judiciaire du Canada, et à l'incidence du discours du Trône sur cette dernière, je me suis senti franchement plus attiré par l'avalanche de critiques dont nos tribunaux ont fait l'objet dernièrement, particulièrement pendant le débat dans l'autre endroit en réponse au discours du Trône. Tandis que j'écoutais les critiques dirigées contre nos tribunaux, je me suis dit qu'elles devraient inquiéter vivement tous ceux d'entre nous pour qui l'indépendance judiciaire est l'une des principales pierres angulaires du régime canadien, qui repose sur la liberté et la démocratie. La plus haute instance au pays, la Cour suprême du Canada, est la cible d'attaques corrosives de la part de certains cercles. Certaines des attaques les plus violentes contre le judiciaire sont le fait de députés réformistes de l'autre endroit.

Dans sa réponse au discours du Trône, le chef du Parti réformiste dans l'autre endroit à dit ceci:

... les tribunaux ont de plus en plus empiété sur les prérogatives du Parlement au point où on peut dire qu'il est impossible d'interpréter le discours du Trône avant d'avoir lu celui des tribunaux.

Eh bien, honorables sénateurs, certains auditeurs ont pu trouver cela amusant. D'autres ont peut-être trouvé que c'était une proposition originale ou charmante. Personnellement, je n'ai pas trouvé cela amusant. Je n'ai pas trouvé plus amusant que le chef du Parti réformiste dans l'autre endroit se mette à bombarder de critiques les tribunaux de diverses instances pour les jugements rendus dans leur évaluation des mesures prises par les gouvernements fédéral, provinciaux ou territoriaux, par rapport à la Charte des droits et libertés. C'était comme si les tribunaux étaient en quelque sorte responsables de l'existence de la Charte canadienne des droits et libertés. Je rappellerais rapidement aux Canadiens qu'il a fallu l'assentiment des deux Chambres du Parlement et de neuf assemblées législatives provinciales pour que soit adoptée la Loi constitutionnelle de 1982.

Il importe que nous, parlementaires, évaluions la vision du gouvernement et les programmes qui en découlent pour déterminer si chacun de ces programmes placera nos tribunaux dans des situations plus difficiles ou moins pénibles. Lorsque j'ai parcouru le discours du Trône, rien dans ce dernier ne m'a convaincu que le gouvernement avait autre chose à offrir qu'un programme vide. Le gouvernement semble éviter les critiques politiques sérieuses en employant cette stratégie. Il confie aux tribunaux les tâches pénibles qui consistent à interpréter des lois très générales ou trop souples. Le gouvernement n'a pas su faire preuve de suffisamment de leadership, n'a pas eu la vision politique et législative nécessaire pour faire en sorte que le Parlement fonctionne de la manière prévue à l'origine.

Ce qui nuit davantage à l'indépendance et au rôle du pouvoir judiciaire ces derniers temps, c'est que certains paliers de gouvernement semblent mal comprendre le rapport qui devrait exister entre le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire. Les honorables sénateurs ont suivi très attentivement le jugement qu'a rendu la Cour suprême dans l'affaire Marshall. Ce jugement reconnaissait certains droits issus de traités et a entraîné des conséquences très déplorables dans la province que je représente, le Nouveau-Brunswick.

Pendant ce temps, le premier ministre envisageait la possibilité que la Cour suprême retienne son jugement dans l'affaire Marshall assez longtemps pour permettre au gouvernement d'adopter les règlements nécessaires pour réduire les niveaux d'hostilité. Même si nous tenions tous à éviter cette hostilité, nous étions toujours aux prises avec la question d'ingérence politique dans les travaux du plus haut tribunal du pays, qui montre clairement comment le pouvoir exécutif commence à jouer du muscle dans le domaine judiciaire et auprès d'institutions qui font partie de notre forme de démocratie parlementaire.

Honorables sénateurs, il est dangereux qu'un premier ministre demande aux tribunaux de faire leurs travaux de manière à favoriser le régime en place. La loi est la loi. Il ne faut ni la plier ni l'adapter pour qu'elle fasse l'affaire d'un parti politique qui est au pouvoir.

À cette séparation moins nette entre l'exécutif et le judiciaire, il faut ajouter la réaction instinctive d'un grand nombre de parlementaires, surtout à l'autre endroit. Depuis le temps que je suis au Sénat, j'ai rarement, et je doute même que ce soit arrivé, entendu un appel pour régler d'urgence un problème grave d'ordre politique ou social en ayant recours à la disposition d'exemption de la Charte. Pourtant, nous entendons souvent les gens de l'autre endroit dire que la disposition d'exemption peut être utilisée pour contourner un problème. Le Parlement doit prendre bien garde quand une telle proposition est formulée.

Honorables sénateurs, je considère le Parlement comme une des trois grandes institutions régissant l'exercice de la liberté au Canada. Bien des parlementaires, qui représentent l'ensemble des partis politiques présents au sein des deux Chambres, ainsi que des membres des assemblées législatives territoriales et provinciales ont commencé à manifester leur inquiétude face aux dirigeants qui omettent de respecter comme il se doit les règles établies de la responsabilité parlementaire. C'est ainsi qu'on a parfois l'impression que les gouvernements veulent même que leurs assemblées législatives ne se réunissent pas.

Un examen du nombre de jours de séance des diverses assemblées législatives et des deux Chambres est fort révélateur. Pensons au retard que le gouvernement a mis à tenir la rentrée parlementaire cet automne. La Chambre des communes, l'institution qui est censée incarner la démocratie au Canada, siège en moyenne moins de 120 jours chaque année. Tout au long des années 90, nos collègues de l'autre Chambre ont eu la triste distinction de siéger chaque année pendant moins de jours que leurs homologues de la Chambre des communes de Westminster ou des États-Unis. Ils siègent 12 p. 100 de moins que leurs homologues de la Chambre des communes de Westminster et 20 p. 100 de moins que leurs homologues de la Chambre des représentants aux États-Unis.

Certains parlementaires se demandent pourquoi ils devraient s'efforcer d'être présents ici et pensent que c'est une pure perte de temps de siéger au Parlement parce que le gouvernement au pouvoir ne se soucie pas le moindrement de leur avis. Dans bien des cas, même de simples députés du gouvernement se voient retirés d'un comité, par exemple, en guise de châtiment pour s'être opposés au pouvoir central. Ces gens-là considèrent les règles parlementaires comme rien de plus que des obstacles à franchir dans la réalisation d'objectifs partisans.

Il y également ceux qui sont d'avis que le saint des saints, autrement dit l'édifice Langevin, a tout fait pour embrouiller les mesures et les décisions qui sont prises par le gouvernement actuel dans le cadre du Parlement.

Pourquoi le premier ministre et les ministres du Cabinet ne veulent-ils pas que le Parlement siège? La réponse est évidente, honorables sénateurs. Il est plus facile de se consacrer aux choses importantes comme faire des discours ou effectuer des voyages à l'étranger ou recueillir des dons pendant les deux tiers de l'année si vous n'êtes pas obligés de rendre des comptes ou de répondre à des questions au Parlement. Lorsqu'on fait face à des questions qui pourraient être dommageables ou embarrassantes, soit qu'on les aborde directement, soit que l'on s'extirpe de la situation. Dans ce dernier cas, cela signifie que les techniciens de l'édifice Langevin ont fermé l'éclairage de l'édifice du Centre, obligeant tous les gens à rentrer chez eux.

Priver le Parlement de sa capacité d'étudier des mesures législatives et d'importantes questions d'actualité est la technique qui a été utilisée par le gouvernement actuel pour usurper la prérogative de cette institution. Un dossier, par exemple, nous donne la preuve que l'édifice du Centre n'est pas disposé à permettre au Parlement de s'acquitter de sa tâche. Si l'on s'arrête au contexte entourant l'Accord définitif nisga'a, intervenu entre la nation nisga'a et la province de Colombie-Britannique, on constate qu'il a été signé par les deux parties après avoir été adopté par l'Assemblée législative de la Colombie-Britannique et accepté par les Nisga'as.

[Français]

Son Honneur le Président suppléant: Je dois interrompre l'honorable sénateur Kinsella et lui signaler que la période de temps allouée pour son discours est écoulée. Honorables sénateurs, l'autorisation de poursuivre est-elle accordée?

Des voix: D'accord.

[Traduction]

Le sénateur Kinsella: Honorables sénateurs, avant que le Parlement ait eu l'occasion d'analyser le traité nisga'a, le ministre des Affaires indiennes l'avait déjà signé. De plus, l'accord précise que, dans le cadre de cet accord tripartite, tous les signataires conviennent de revoir le traité lorsqu'il y a lieu. Bien que les Nisga'as et le gouvernement de la Colombie-Britannique ne puissent agir de la sorte qu'après avoir consulté leur assemblée constituante, il semble que le gouvernement fédéral puisse donner son accord à des modifications au traité par l'entremise du gouverneur en conseil, ce qui rend donc le Parlement inutile.

L'obligation de rendre des comptes au Parlement irrite beaucoup le premier ministre et son Cabinet, qui est devenu son groupe de réflexion privé. Au sein du Cabinet, le premier ministre ne se contente plus d'être le premier parmi ses pairs. La nature hiérarchique du gouvernement se manifeste aussi à tous les niveaux. Le Cabinet réprime la participation politique et l'apport des députés d'arrière-ban, des députés de l'opposition, des comités et des citoyens. Au niveau fondamental, la reddition de comptes au Parlement par les occupants de l'édifice Langevin est quasi nulle. Cette attaque fondamentale lancée contre la responsabilité envers le Parlement est inquiétante et mérite que l'on se demande si le discours du Trône clarifie ou non le fait que le gouvernement est toujours responsable envers le Parlement.

Dans notre forme de gouvernement, dérivée de celle de Westminster, la responsabilité ministérielle est la pierre angulaire de la pratique parlementaire et, dans ce paradigme de gouvernement, il est jugé déplacé que le Cabinet ou le premier ministre dominent la fonction politique du Parlement sans que les membres des deux Chambres ne soient véritablement consultés.

J'aimerais faire remarquer l'impuissance du gouvernement à prévenir l'érosion de notre système politique en citant l'universitaire Philip Norton qui, parlant de l'échec du gouvernement à se conduire comme l'exige le principe de la responsabilité, écrit qu'avec les années, les instruments du Parlement se sont émoussés. Il déclare:

Le gouvernement est également devenu plus réticent à divulguer ses informations à la Chambre. On attendait de plus en plus des députés qu'ils s'en remettent aux connaissances supérieures du gouvernement. À mesure que les projets de loi d'initiative ministérielle en sont venus à dominer le programme législatif et qu'ils sont devenus plus complexes, la Chambre n'a pas réussi à générer les ressources nécessaires pour suivre cette évolution. C'est pourquoi, dans sa relation avec le gouvernement, la Chambre... n'a pas eu la volonté politique et les ressources institutionnelles nécessaires pour contester les mesures formulées par le gouvernement.

Le célèbre universitaire C.E.S. Francks énonce le danger d'un exécutif trop centralisé pour le processus parlementaire. Il fait remarquer que ses:

[...] énormes pouvoirs centralisés ressemblent plus à ceux que l'on associe normalement à une dictature autocratique qu'à ceux d'un gouvernement démocratique.

Et que:

Le Parlement est le forum central pour discuter de l'utilisation et de l'abus de pouvoir politique.

Dans cet esprit, nous demandons si le Cabinet et le cabinet du premier ministre ont pris des mesures pour garantir que leur conduite est convenablement contrôlée par le Parlement et si on peut trouver des signes de cette volonté dans le discours du Trône, qui est bien entendu destiné à donner le ton de cette session parlementaire. Honorables sénateurs, le pouvoir est passé de l'autre côté de la rue et de nombreux auteurs ont commenté cet état de fait.

J'aimerais en terminant parler de ce troisième secteur au service de notre démocratie, c'est-à-dire celui des organismes bénévoles et non gouvernementaux. J'ai été déçu, honorables sénateurs, de constater que le discours du Trône ne faisait aucunement référence à cette prochaine célébration du rôle des organismes bénévoles dans le monde. On ne trouve aucun appui innovateur ou créatif des organismes bénévoles de la part du gouvernement en place. C'est plutôt le contraire. Presque toutes les promesses que l'on retrouve dans le discours du Trône ont trait à une mesure quelconque entreprise par le gouvernement central.

Puisque les Nations Unies ont déclaré l'an 2001 Année internationale des organismes bénévoles, il me semble, honorables sénateurs, que le gouvernement aurait pu faire un effort pour faire part de la disposition de notre pays à souligner l'importance des organismes bénévoles non gouvernementaux.

En conclusion, honorables sénateurs, j'aimerais revenir au professeur Donald Savoie, dont nous avons parlé à plusieurs reprises en d'autres occasions, et à son ouvrage publié récemment sous le titre Governing from the Centre. Dans une analyse tranchante des pouvoirs du premier ministre et des changements survenus dans les pouvoirs au Canada, le professeur Savoie affirme:

Le Cabinet, tout comme le Parlement, est maintenant dépassé. Les vrais débats politiques se tiennent de plus en plus ailleurs, et c'est également le cas des décisions qui sont souvent prises au cours des rencontres fédérales provinciales des premiers ministres, pendant les rencontres officieuses que les premiers ministres tiennent pendant les vols d'Équipe Canada, dans le bureau du premier ministre, au Conseil privé, au ministère des Finances, dans les organismes internationaux et au cours de sommets internationaux. Rien ne semble indiquer que la personne qui détient toutes les cartes, soit le premier ministre, et les organismes centraux qui lui permettent de concentrer les pouvoir politique au centre, aient l'intention de changer quoi que ce soit. Le premier ministre du Canada est peu soumis au contrôle institutionnel, du moins à l'intérieur du gouvernement, qui l'empêcherait d'agir à sa guise.

Compte tenu de ce changement de paradigme, on peut très bien comprendre la frustration des députés, et parfois même des sénateurs, qui n'ont rien à dire au niveau de la mise au point des politiques, et à qui on donne l'ordre de faire avancer une initiative du gouvernement, souvent même sans réflexion aucune.

Honorables sénateurs, le discours du Trône est le mécanisme qui permet au gouvernement actuel de faire part de sa façon de voir le pays et de donner le ton au fonctionnement de cette institution. Il est clair que les bases mêmes de notre démocratie parlementaire sont menacées et que l'on a pas fait grand-chose pour réparer les dommages.

(1720)

L'honorable Mabel M. DeWare: Honorables sénateurs, c'est avec plaisir que j'interviens aujourd'hui dans le débat sur le discours du Trône. J'ai été heureuse d'assister à l'ouverture de la nouvelle session et à la cérémonie solennelle au cours de laquelle la nouvelle Gouverneure générale a lu son discours inaugural pour le siècle nouveau.

Je désire aborder deux points du discours du Trône. Ils ont trait à deux comités parlementaires dont j'ai eu l'honneur de faire partie. L'un était le comité sénatorial spécial de l'enseignement postsecondaire, qui était présidé par notre ancien collègue, l'honorable sénateur Lorne Bonnell, et qui a présenté son rapport en décembre 1997; et l'autre était le comité mixte spécial sur la garde et le droit de visite des enfants, qui était coprésidé par l'honorable sénateur Landon Pearson et qui a déposé son rapport en décembre 1998.

Honorables sénateurs, nous, au Sénat, sommes tous très conscients de l'importance de l'enseignement postsecondaire tant pour les Canadiens individuellement que pour le Canada dans son ensemble. Ceux qui fréquentent les collèges, les universités et autres établissements d'enseignement postsecondaire en tirent des avantages incommensurables. Cela inclut les avantages financiers qui permettent aux diplômés de parvenir à un niveau de vie meilleur pour eux-mêmes et leur famille. Cela inclut également d'autres avantages moins tangibles mais tout aussi importants en termes de qualité de vie, qui permettent également aux diplômés de jouer un rôle essentiel dans l'édification de leur collectivité. Ces avantages se transmettent ensuite à l'économie et à la société canadiennes sous la forme, par exemple, de recettes fiscales plus élevées, d'économies de coûts des programmes sociaux et de cohésion sociale accrue. Encore plus important de nos jours est l'avantage concurrentiel qu'une population active instruite donne au Canada dans l'économie mondiale. Les entreprises des secteurs en pleine croissance de la connaissance et de la technologie de pointe investiront plus probablement dans un pays où elles peuvent embaucher des diplômés bien formés émoulus d'excellents établissements d'enseignement postsecondaire.

Il est évident que le gouvernement fédéral reconnaît lui aussi le rôle crucial de l'enseignement postsecondaire au Canada. Dans le discours du Trône, il a reconnu «l'avantage que représente pour le Canada une main-d'oeuvre qui est la plus instruite au monde». Le gouvernement a également affirmé que, au cours des trois dernières années, il a pris des mesures pour tirer parti de cet avantage. Le discours du Trône a souligné des mesures qui visaient à faciliter l'épargne-études pour les enfants et a mentionné les bourses d'études canadiennes du millénaire qui, selon le gouvernement, visent à rendre plus abordables les études collégiales et universitaires. Il a également mentionné l'allégement du mécanisme de remboursement des dettes étudiantes et l'amélioration des mesures fiscales pour favoriser l'apprentissage continu. En fait, je crois qu'il a parlé de «stratégie» en évoquant l'ensemble de ces mesures.

Le gouvernement dit maintenant qu'il compte continuer de s'appuyer sur cette stratégie en prenant plusieurs initiatives. Le discours du Trône faisait la grande annonce que le gouvernement fédéral:

... formera des partenariats avec les autres gouvernements, les organismes publics et privés ainsi qu'avec les Canadiens et les Canadiennes, afin d'établir un plan d'action national en matière de compétences et d'apprentissage pour le XXIe siècle. Ce plan mettra l'accent sur l'apprentissage continu, s'attaquera au problème de la faible alphabétisation chez les adultes et fournira aux citoyens l'information dont ils ont besoin pour prendre des décisions éclairées en vue de parfaire leurs compétences.

Honorables sénateurs, le discours du Trône a énoncé trois composantes de ce plan d'action, mais j'espère sincèrement que d'autres s'y ajouteront bientôt. Plus précisément, le gouvernement a dit qu'il travaillera avec ses partenaires afin de:
  1. faire en sorte que le perfectionnement des compétences suive le rythme de l'évolution de l'économie; ce travail sera dirigé par les conseils sectoriels, qui réunissent des représentants des milieux des affaires, du travail et de l'éducation, ainsi que d'autres groupes professionnels, dans le but d'examiner les questions de ressources humaines dans des secteurs importants de l'économie canadienne;
  2. permettre aux Canadiens de financer plus aisément l'apprentissage continu;
  3. fournir des renseignements à l'échelle du Canada sur les marchés du travail, les compétences nécessaires et les possibilités de formation à partir d'un guichet unique, accessible par Internet, par téléphone, ou en personne dans toutes les collectivités du pays.
Honorables sénateurs, toutes ces mesures peuvent être très valables. Une action dans ces trois domaines généraux, qui ont été cernés il y a près de deux ans par le comité sénatorial spécial sur l'enseignement postsecondaire, s'impose assurément et est attendue depuis longtemps.

Je tiens également à féliciter le gouvernement de s'être engagé à améliorer l'infrastructure du savoir en créant des instituts canadiens de recherche en santé, en augmentant son soutien aux conseils subventionnaires et en encourageant les universités et les instituts de recherche du Canada à intensifier la collaboration internationale en matière de recherche, même si les détails sont, je le répète, assez obscurs. Après tout, la R-D est un autre secteur clé qu'a mentionné le comité sénatorial spécial de l'enseignement postsecondaire. J'ai constaté avec plaisir que, conformément à plusieurs recommandations de notre comité, le gouvernement semble reconnaître qu'il vaut la peine d'attirer des chercheurs de premier plan et d'encourager nos diplômés à poursuivre leur carrière au Canada plutôt que de s'exiler. Nous devons rendre la situation plus attrayante pour que nos diplômés d'études postsecondaires restent au Canada afin d'assurer l'avantage concurrentiel que nous avons grâce à notre main-d'oeuvre instruite.

Compte tenu de l'attention plus grande qui est accordée à l'exode des cerveaux du Canada, dont les médias parlent beaucoup, cette intervention est particulièrement opportune. Dans une étude qu'il a faite récemment, le Conference Board du Canada a déclaré que l'exode des cerveaux, qui est de plus en plus important, menace de vider le bassin de travailleurs qualifiés au Canada. De plus, le premier dirigeant de Nortel, John Roth, a mentionné que sa société devra quitter le Canada si rien n'est fait pour enrayer la sortie de capital humain. Faisant remarquer qu'il reste au Canada seulement 7 p. 100 des cadres supérieurs de Nortel, il aurait déclaré, selon le quotidien Ottawa Citizen du 12 novembre, ce qui suit:

À quoi bon avoir un siège social au Canada quand la plus grande partie de l'équipe des dirigeants de la compagnie est partie?
Compte tenu du fait que 22 000 employés de Nortel travaillent au Canada et que, chaque année, la compagnie engage le quart des ingénieurs diplômés formés au Canada, on ne peut prendre cela à la légère. Même Statistique Canada, qu'on a critiqué pour avoir minimisé l'importance de l'exode des cerveaux, a admis que les diplômés canadiens qui se dirigent au sud de la frontière sont souvent les meilleurs, les plus brillants. Même si plusieurs causes ont été relevées pour expliquer cette migration tragique, il est clair que le système d'enseignement postsecondaire au Canada est un facteur. Je rappelle aux honorables sénateurs que l'Ottawa Citizen du 12 novembre attribuait aussi à M. Roth la remarque suivante:

La qualité des diplômes en génie et en informatique décernés au Canada est excellente, mais je crains qu'elle ne baisse à cause du financement inadéquat du système d'éducation.

Honorables sénateurs, nous devons nous demander si les mesures que les libéraux proposent dans le discours du Trône suffisent, comme le dit le gouvernement, pour établir «une stratégie destinée à exploiter l'avantage que représente pour le Canada une main-d'oeuvre qui est la plus instruite au monde». En fait, une fois mise en oeuvre, cette stratégie suffira-t-elle à maintenir la qualité de notre main-d'oeuvre instruite? Je pense qu'il faut faire beaucoup plus dans le secteur de l'enseignement postsecondaire pour atteindre les résultats que le gouvernement nous a promis. J'aurais préféré que le discours du Trône nous propose un peu de substance pour enrober ces mots à la mode qui se veulent rassurants. J'aurais encore mieux aimé qu'il y soit question de certains secteurs de l'enseignement postsecondaire que le gouvernement semble avoir complètement oubliés, des secteurs qui, à mon avis, revêtent une importance capitale si nous voulons progresser sur le plan du savoir à l'aube du XXIe siècle et ne pas accuser un recul ou, avec un peu de chance, faire simplement du sur-place.

Dans l'optique des observations faites par M. John Roth, de Nortel, je veux parler plus particulièrement du financement de l'enseignement postsecondaire au Canada. Le comité dont j'ai fait partie a qualifié d'extrêmement prioritaire l'aide que le gouvernement fédéral et les provinces accordent à l'enseignement postsecondaire. Le comité a aussi recommandé que «le gouvernement fédéral, tout en continuant à respecter les compétences provinciales, renouvelle son ferme engagement dans le secteur de l'enseignement postsecondaire».

Le sous-financement des universités et collèges canadiens, attribuable en partie aux compressions visant le Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux, a entraîné, entre autres choses, une hausse des frais de scolarité, une détérioration de l'équipement et des infrastructures physiques ainsi qu'une incapacité d'attirer les membres du corps professoral les plus qualifiés dans les établissements postsecondaires d'un océan à l'autre.

Les frais de scolarité élevés risquent notamment de rendre l'enseignement postsecondaire inaccessible à de nombreux étudiants canadiens. La perspective d'obtenir son diplôme et d'être alors criblé de lourdes dettes d'études que les bourses du millénaire ne risquent guère de réduire beaucoup peut, par exemple, être un élément dissuasif crucial. S'il est important de mettre des prêts et d'autres formes d'aide à la disposition des étudiants, il faut toutefois limiter les sommes qu'un étudiant devrait avoir à emprunter.

(1730)

Je me méfie de la promesse que fait le gouvernement dans le discours du Trône de faciliter le financement de l'éducation permanente. S'il entend simplement aider les étudiants à emprunter davantage d'argent et à alourdir leur dette, je ne crois pas que ce soit la solution. Ce serait mettre la charrue devant les boeufs. Toutefois, si le gouvernement se propose d'accorder davantage de bourses ou de véritables remises de dette, cette promesse me paraîtra plus positive. Les Canadiens seront impatients de voir au cours des deux prochaines années ce que le gouvernement a au juste à l'esprit.

En outre, nous avons extrêmement hâte de voir comment le gouvernement et ses partenaires feront en sorte, comme le prévoit le discours du Trône, que le perfectionnement des compétences suive le rythme de l'évolution de l'économie. J'espère sincèrement que cela ne se limitera pas à cerner les professions, les métiers et les emplois dans lesquels on aura besoin de diplômés dans les années à venir, quoique cela soit une entreprise importante. Cette initiative devrait plutôt reposer sur des mesures concrètes visant à aider les étudiants à obtenir l'éducation et la formation nécessaires pour satisfaire ces besoins.

Je le répète, les Canadiens suivront de près ce que le gouvernement fédéral fera au cours des deux prochaines années à cet égard. Je crois que les Canadiens ne devraient pas avoir à attendre deux ans avant que le gouvernement tienne les promesses qu'il a faites dans le discours du Trône concernant l'enseignement postsecondaire.

Je rappelle au gouvernement qu'il faut agir dès maintenant dans ce secteur critique. Je rappelle aussi aux sénateurs que ce rapport du comité est déjà vieux de deux ans et qu'il était urgent de le déposer.

Le sénateur Graham a été très prodigue en promesses sur l'avenir de l'éducation au Canada. Il est très éloquent. Il y a deux ans, ce sont des paroles de désespoir que les étudiants, les éducateurs et les chercheurs nous avaient servies sur l'état de l'éducation au Canada. Ce n'était pas un tableau agréable.

Il est donc temps que le gouvernement considère l'éducation comme une priorité dans son programme pour le nouveau siècle. Je dois vraiment féliciter le sénateur Graham pour les observations qu'il a présentées aujourd'hui.

Honorables sénateurs, je pourrais parler longuement de l'éducation postsecondaire et de l'éducation permanente car ce sont là des questions qui me tiennent à coeur. J'espère en avoir l'occasion dans un proche avenir.

Je vais cependant passer aux autres aspects du discours du Trône que je veux aborder, c'est à dire la garde et le droit de visite des enfants. Il convient, tout d'abord, de faire un certain historique.

J'ai eu l'honneur d'être membre du comité mixte spécial sur la garde et le droit de visite des enfants, formé en octobre 1997. Le gouvernement avait créé ce comité afin de remplir une promesse qu'il avait faite pour s'assurer que le comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, dont j'étais présidente à l'époque, examinerait les nouvelles lignes directrices fédérales sur la pension alimentaire pour enfants.

Les 23 membres du comité, représentant cinq partis, ont donc consacré l'année suivante à entendre des centaines de témoins et à étudier les graves questions concernant les familles touchées par une séparation ou un divorce.

En décembre 1998, le comité a déposé son rapport intitulé: «Pour l'amour des enfants». Le rapport comprenait une longue série de recommandations visant à recentrer sur l'enfant le système adversatif qui existait pour la garde et le droit de visite des enfants. La plus importante recommandation proposait des changements reconnaissant que la mère et le père devaient tous deux continuer à jouer un rôle important dans la vie de leurs enfants. Ces recommandations étaient centrées sur le concept de garde partagée, ce qui signifie la prise de décisions conjointe et l'entente entre les parents quant au partage du temps et aux arrangements résidentiels. Grâce à la garde partagée, le père et la mère demeurent activement investis dans les soins à donner aux enfants.

En mai 1999, la ministre fédérale de la Justice a publié la réponse détaillée du gouvernement au rapport du comité. J'ai été heureuse d'apprendre que le gouvernement s'apprêtait à appuyer les principales recommandations du comité demandant une approche au droit de la famille centrée sur l'enfant dans les cas de séparation et de divorce.

Nous étions tous bien fébriles, et même exaltés, le jour où nous avons appris que la ministre allait mettre en application nos recommandations. Cependant, comme des milliers de parents canadiens et leurs enfants, j'ai été déçue d'apprendre que ces familles devraient attendre encore trois ans avant que toute mesure réelle ne soit prise en leur nom. C'est que le gouvernement a déclaré, dans sa réponse, qu'il allait intégrer les modifications législatives des dispositions de la Loi sur le divorce portant sur la garde et le droit de visite à la réforme en profondeur des lignes directrices sur les pensions alimentaires pour enfants, mais cette réforme est annoncée pour le 1er mai 2002.

Je trouve encourageant, à l'instar de tous les sénateurs sans doute, qu'il en ait été fait mention dans le discours du Trône. Dans celui-ci, le gouvernement dit:

... avec ses partenaires provinciaux et territoriaux, il s'emploiera à réformer le droit de la famille et à renforcer les régimes de soutien aux familles afin que, dans des situations de séparation ou de divorce, priorité soit donnée aux besoins et aux meilleurs intérêts des enfants.

Cette citation montre clairement que le gouvernement reconnaît que la garde d'enfants et l'accès à ceux-ci revêtent une importance capitale pour bien des Canadiens et que les préoccupations relatives au système actuel ne disparaîtront pas.

J'espère que le gouvernement a l'intention d'accélérer sa mise en oeuvre planifiée des recommandations sur le partage de la tâche parentale énoncées dans le rapport «Pour l'amour des enfants». Après tout, le discours du Trône dresse habituellement les priorités du gouvernement pour la session dont il sert de point de départ. Compte tenu de rumeurs récentes voulant que des élections fédérales générales seront déclenchées d'ici 18 mois, bien avant 2002, les Canadiens pourraient s'attendre à des progrès plus rapides. J'espère que ce ne sont pas de faux espoirs, mais, étant donné le piètre rendement du gouvernement en ce qui concerne les questions de garde et d'accès, j'ai bien peur qu'ils ne soient déçus. Néanmoins, on peut toujours espérer. Entre-temps, des centaines d'enfants ne seront pas entendus et ressentiront la douleur de ménages brisés.

Honorables sénateurs, je me réjouis d'avoir eu l'occasion d'intervenir sur ces deux questions du récent discours du Trône, qui en renferme beaucoup d'autres. D'autres sénateurs ont déjà fort bien souligné des aspects différents du discours et d'autres les imiteront sans doute.

En guise de conclusion, je voudrais exprimer l'espoir que le gouvernement écoutera et qu'il tiendra compte des préoccupations bien réelles et des suggestions raisonnables de mes collègues siégeant de ce côté-ci de l'enceinte.

(Sur la motion du sénateur Roche, le débat est ajourné.)

Projet de loi sur la sanction royale

Deuxième lecture-Ajournement du débat

L'honorable John Lynch-Staunton (chef de l'opposition) propose: Que le projet de loi S-7, Loi relative aux modalités d'octroi par le Gouverneur général, au nom de Sa Majesté, de la sanction royale aux projets de loi adoptés par les Chambres du Parlement, soit lu une deuxième fois.

- Honorables sénateurs, je dois expliquer d'abord ce que le ce projet de loi n'est pas. Contrairement aux bruits qui ont circulé récemment dans les médias et ailleurs, il ne prévoit pas l'abolition de la cérémonie de la sanction royale telle que nous la connaissons et qui est observée ici depuis 1867. Le projet de loi, outre qu'il préserve la cérémonie traditionnelle, pourvoit à une procédure différente, à savoir une déclaration écrite, semblable à celle qui est suivie au Royaume-Uni et dans d'autres pays du Commonwealth. La tenue de la cérémonie traditionnelle serait obligatoire dans le cas du premier projet de loi de crédits présenté lors d'une session et au moins une fois par année civile.

Les honorables sénateurs qui étaient présents à l'époque se souviendront qu'un projet de loi à peu près identique au projet de loi S-7, le projet de loi S-19, avait été présenté au Sénat par le sénateur Murray, alors leader du gouvernement, en juillet 1988. Le sénateur Doody avait ouvert le débat à l'étape de la deuxième lecture quelques jours plus tard. Le débat avait repris en septembre mais avait été de courte durée car les priorités de la majorité au Sénat étaient alors ailleurs et n'étaient pas étrangères à la dissolution du Parlement le 1er octobre. Les arguments avancés par le sénateur Doody il y a 11 ans sont encore valables aujourd'hui et une grande partie de mes arguments sont inspirés des siens. Le dernier effort en ce sens a été fait au Sénat au cours de la dernière session avant d'être, lui aussi, victime de la prorogation. Mes remarques seront donc similaires à celles que j'avais faites à l'époque.

Je répète donc que le but du projet de loi S-7 n'est pas d'éliminer la cérémonie de la Sanction royale que nous connaissons, mais d'exiger que la procédure actuelle s'applique au premier projet de loi de crédits présenté lors d'une session et au moins une fois par année civile.

Maintenir la cérémonie de la sanction royale telle que nous la connaissons et autoriser une déclaration écrite comme alternative est un sujet qui a été soulevé au Sénat à de nombreuses reprises. En 1983, le sénateur Frith a présenté une interpellation concernant l'opportunité de prévoir des procédures de remplacement pour la déclaration de la sanction royale pour les projets de loi. À la suite d'une recommandation faite en mars 1985 par le comité spécial sur la réforme de la Chambre des communes, le comité McGrath, quant à l'adoption d'une nouvelle procédure pour la sanction royale, le comité permanent des privilèges, du Règlement et de la procédure, présidé par le sénateur Molgat, a recommandé des changements allant dans le même sens. Une lecture attentive du débat sur le rapport présenté par le sénateur Molgat indique un appui général pour l'idée, mais un désaccord quant à la manière de la mettre en application. On a trouvé une solution en présentant le projet de loi S-19 mentionné plus tôt, un projet de loi qui est mort au Feuilleton en raison de la prorogation moins de trois mois plus tard. Le projet de loi S-7, comme l'a fait le projet de loi S-19, reprend les principes de ce rapport.

La cérémonie de la sanction royale telle que nous la pratiquons n'est pas requise par la Loi constitutionnelle de 1867, comme l'expliquent les articles 55, 56 et 57, qui ne concernent que l'octroi ou le refus de la sanction royale pour donner force de loi à un texte législatif, ou le fait de réserver ce texte. L'article 5 de la Loi d'interprétation dispose que la sanction royale intervient à la date d'entrée en vigueur d'une loi, à la condition qu'aucune aucune autre date ne soit précisée.

Bien que la cérémonie de la sanction royale comme telle ne soit décrite dans aucun texte de loi, l'ouvrage de Beauchesne en donne un descriptif. Le greffier adjoint du Sénat est chargé de son organisation matérielle. Le Canada est le seul pays à avoir conservé cette cérémonie officielle qui nécessite la présence du souverain ou du Gouverneur général ou de leur représentant. Le rapport McGrath observe que «le Canada continue de faire appel à une pratique abandonnée par le Parlement britannique en 1967. En fait, aucun autre pays du Commonwealth ne l'a conservée.»

Au Royaume-Uni, la sanction royale a requis la présence du monarque jusqu'en 1541, quand les lords commissaires ont été chargés de représenter le souverain. En 1967, le Parlement du Royaume-Uni s'est pourvu d'une Loi sur la sanction royale qui prévoit, au choix, la cérémonie traditionnelle ou une déclaration écrite, tel que proposé dans le projet de loi S-7. Comme pour le projet de loi S-7, la Loi sur la sanction royale ne donne pas de détails sur l'autre formule, se contentant de l'autoriser.

Comme nous le savons tous, le Parlement se compose de trois entités, la reine, le Sénat et la Chambre des communes, chacune étant indispensable à la promulgation d'un projet de loi. Notre cérémonie de la sanction royale rassemble ces entités pour la dernière étape du processus parfois long qui précède l'adoption d'un projet de loi. Bien que la reine ne refuse pas la sanction, il faut tout de même la demander. Un commentateur a écrit que la sanction royale est toujours une formalité nécessaire, mais rien de plus qu'une formalité.

Je crains, tout comme d'autres, que ce qui devrait être un événement important ne soit devenu une cérémonie de routine qui ne suscite qu'une faible curiosité chez ceux qui se trouvent à en être témoins par hasard. Trop souvent, le Gouverneur général ne peut être présent, et il est difficile et gênant de trouver un Gouverneur général suppléant à court préavis. Trop souvent, le suppléant doit attendre au-delà de l'heure convenue, en raison de délibérations imprévues du Sénat. Les députés présents sont habituellement moins nombreux que les dignitaires, surtout si la sanction est prévue après l'ajournement de la Chambre. Une sanction royale donnée tard un jeudi après-midi signifie que peu de sénateurs seront présents. Il règne un climat d'indifférence, plutôt que de respect, envers une cérémonie qui, bien qu'elle soit en grande partie une formalité, est néanmoins essentielle, et qui nous rappelle l'évolution du régime parlementaire au cours des siècles.

Certains soutiennent que la sanction royale est archaïque et devrait tout simplement être éliminée. Je ne m'engagerai pas dans ce débat aujourd'hui, sauf pour dire que, dans la mesure où la sanction royale est exigée, traitons-la comme elle le mérite en procédant à la cérémonie avec respect en raison de ce qu'elle signifie, plutôt que de la considérer comme une interruption inopportune des travaux parlementaires. Ne serait-il pas préférable de réduire le nombre des cérémonies traditionnelles au cours d'une session? En prévoyant une procédure différente, le Parlement approuverait, en fait, l'importance de la cérémonie traditionnelle que représente la sanction royale en en faisant une occasion spéciale, bien planifiée et à laquelle assisteraient plusieurs personnes, plutôt qu'une obligation dont la répétition dilue la signification.

L'opposition à ce projet de loi viendra de ceux qui craignent que ce ne soit que le commencement de la fin du cérémonial tel que nous le connaissons aujourd'hui. Le projet de loi S-7 tient pourtant compte de ces craintes. L'autre procédure qui est proposée consiste à permettre une sanction royale non traditionnelle à l'occasion, quand il est difficile pour les intéressés de s'entendre sur un moment qui convient à tous, et ainsi à assurer qu'il y ait plus qu'une poignée de parlementaires qui y assistent. Ce problème deviendra encore plus aigu quand la Chambre, dans le cadre des rénovations de la Cité parlementaire, déménagera dans l'édifice de l'Ouest, et sera suivie par le Sénat quand elle retournera dans l'édifice du Centre. D'après moi, il s'agit là d'une raison suffisante pour étudier attentivement ce projet de loi.

Honorables sénateurs, j'ai pris soin de ne pas présenter un argument long et détaillé en faveur du projet de loi S-7, étant d'avis que ces considérations d'ordre général suffiraient à susciter l'intérêt. Je suis reconnaissant envers ceux qui sont intervenus sur le sujet dans le passé, au personnel de la Bibliothèque du Parlement et au conseiller juridique du Sénat pour sa recherche approfondie, parce qu'ils ont tous apporté une contribution précieuse à ces remarques. J'ai hâte de débattre ce projet de loi, tant au Sénat qu'au comité.

(Sur la motion du sénateur Cools, le débat est ajourné.)

[Français]

(1750)

Les communautés francophones et acadiennes hors Québec

La détérioration des services en français-Interpellation-Ajournement du débat

L'honorable Jean-Maurice Simard, ayant donné avis le mercredi 3 novembre 1999:

Qu'il attirera l'attention du Sénat sur la situation qui prévaut présentement vis-à-vis le développement et l'épanouissement des communautés francophones et acadiennes, de sa détérioration progressive, du désengagement des gouvernements au cours des dix dernières années et de la perte d'accessibilité des services en français.

Honorables sénateurs, tel qu'entendu entre les deux leaders en cette Chambre, et j'espère que tous les sénateurs seront d'accord, je cède la parole à mon collègue, le sénateur Jean-Claude Rivest, pour lire mon discours. Mon discours pourrait excéder le temps alloué de dix minutes.

L'honorable Jean-Claude Rivest (au nom de l'honorable sénateur Simard): Honorables sénateurs, je voudrais d'abord dire tout le plaisir que j'ai de m'associer à ce discours, d'une façon un peu inhabituelle, dans le cadre de la procédure de cette Chambre. Comme l'honorable sénateur Simard vient de l'indiquer, il m'a demandé de donner lecture de la communication qu'il voulait faire au Sénat à l'occasion du dépôt d'un rapport extrêmement consistant. J'invite d'ailleurs l'ensemble des honorables sénateurs à en prendre connaissance. C'est vraiment une réflexion très approfondie et très documentée de la part du sénateur Simard sur la condition des communautés francophones et acadiennes au Canada.

Je suis d'autant plus à l'aise de lire son discours que j'endosse les préoccupations soulevées par le sénateur Simard. Je demanderais simplement, aux fins de la procédure, que dans les Débats du Sénat, le discours du sénateur Simard lui soit attribué, même si c'est moi qui le lis.

Son Honneur le président: Honorables sénateurs, la permission est-elle accordée?

Des voix: D'accord.

Le sénateur Rivest (prend la parole au nom de l'honorable sénateur Simard): Honorables sénateurs, je m'adresse à vous aujourd'hui pour vous entretenir d'un enjeu qui revêt énormément d'importance pour moi et pour le pays.

Je veux vous parler d'une question qui me tient à coeur depuis toujours, une question des plus fondamentales pour laquelle j'ai investi une grande part de mon action politique: le développement et l'épanouissement des communautés francophones et acadiennes du Canada.

Au terme d'une réflexion personnelle de plusieurs mois, accompagnée de recherches et de consultations sérieuses et approfondies, je vous affirme que mes inquiétudes quant aux perspectives d'avenir de ces communautés sont devenues si grandes que j'ose vous parler d'une urgence nationale.

Quand je vous parle d'urgence, quand je dis qu'elle est d'envergure nationale, je me fonde non seulement sur le résultat de notre recherche, mais je puise aussi dans ce bagage de connaissances et d'expériences que l'on accumule en plus de trente ans de vie publique. Je me fie à cet instinct que nous développons tous pour réussir à accomplir, au meilleur de nos possibilités, ce qui est au fond «notre métier».

Et tout, dans mon être, me dit que si nous n'agissons pas tout de suite, avec toute la conviction et l'énergie dont ce Parlement, dont ce pays, sont capables, il sera bientôt trop tard. Nous aurons, par refus d'agir, par indifférence, dans le confort des paradigmes de nos tours d'ivoire politiques, trahi la promesse d'un pays qui aurait pu être si grand, s'il avait seulement eu le courage de l'être.

Parce que si, un jour, devaient disparaître ces communautés francophones et acadiennes, qui ont contribué à forger une identité canadienne reconnue et respectée partout dans le monde, ce sera en grande partie parce que les dirigeants de leur pays leur auront tourné le dos. Ce sera parce que nous aurons préféré nous réfugier dans la sécurité des demi-mesures et de l'inaction, alors que notre peuple ne nous demandait qu'un coup de main. Ce sera parce que nous aurons cédé devant les menaces d'une poignée d'extrémistes qui, en nous effrayant par leur intolérance, nous auront dicté notre propre arrêt de mort.

Ce sera parce que nous aurons eu peur d'avoir peur car, au fin fond de nous-mêmes, nous savons tous fort bien pourquoi on ne parle pas ou on parle très peu de la «chose» francophone. Ce n'est pas parce que ce n'est pas important, pas parce que ce n'est pas urgent, c'est parce que nous avons peur; peur de provoquer ces éléments, pourtant de plus en plus minoritaires, de la société canadienne qui pourraient être tentés d'attiser les feux de l'intolérance; peur de gaspiller notre capital politique au Canada anglais, en défendant les minorités francophones de ces régions; peur de défendre publiquement ce merveilleux projet de société, cette dualité linguistique canadienne que nous arborons pourtant comme un modèle de réussite unique, ailleurs dans le monde.

N'est-ce pas l'ultime paradoxe? Nous craignons de parler chez nous de ce qui suscite l'admiration, le respect et même l'envie de toute la planète. Nous avons peur de rappeler aux Canadiens que le pacte fédératif qui a vu naître leur pays est un pacte d'une tolérance sans précédent, entre deux peuples voués au principe de leur égalité mutuelle.

À l'aube de l'an 2000, nous préférons céder devant ces dinosaures idéologues qui voudraient nous ramener à une ère moins noble où le Canada de neuf provinces sur dix était engagé résolument sur la voie de l'anglicisation de sa société et de tous ses membres, francophones, autochtones ou nouvellement arrivés. Une politique qui nous a mené tout droit à ce que M. André Laurendeau, de la Comission royale d'enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme, a appelé, il y a de cela plus de trois décennies, «la pire crise de notre histoire», celle du Canada.

En somme, si l'on ne parle pas de la crise, c'est qu'elle n'existe pas. Si l'on n'admet pas que la situation des communautés francophones et acadiennes du Canada a atteint un point critique, on ne sentira pas le besoin de faire quoi que ce soit pour y remédier. Si l'on ne fait rien, on ne pourra pas se faire reprocher d'avoir fait quelque chose. Et tout ira pour le mieux dans le meilleur des mondes... comme dans un conte de fées.

La gloire dans l'immobilisme! Le triomphe de l'indifférence!

Mais, honorables sénateurs, on ne s'arrête pas là. La consigne est que si nous nous taisons, tout le monde doit se taire. Ce qui veut dire que lorsque les leaders de ces communautés osent élever la voix et dénoncer les abus dont ils sont victimes, on les enjoint de se taire.

Pardon! On commence d'abord par feindre d'ignorer leur existence. Lorsque leurs cris deviennent trop stridents et trop publics, on les appuie du bout des lèvres parce qu'on n'a pas le choix. Après tout, les Québécois nous observent. Quelle impression défavorable se feraient-ils du Canada s'il fallait que nous refusions d'appuyer des francophones en péril? Mais une fois le mauvais moment des appuis timides passé, une fois l'intérêt des médias estompé, on rappelle vite ces fauteurs de troubles francophones à l'ordre, en leur faisant comprendre que les choses iront beaucoup mieux si l'on ne brasse pas trop la chaloupe. On prend les francophones minoritaires en otages du pouvoir.

Ce gouvernement fédéral qui devrait être leur ultime défenseur, ce gouvernement auquel incombe la responsabilité constitutionnelle, légale et morale de faire respecter les droits de ces minorités, s'en prend aux victimes plutôt qu'aux coupables.

Non seulement refuse-t-il d'agir, mais le pouvoir fédéral les frappe là où ils sont le plus vulnérables. On coupe leur financement. Et les leaders francophones, toujours fiers, mais de plus en plus affamés, comprennent vite ce qu'ils ont à faire s'ils veulent sortir de cette quarantaine. Comme on dit: ils rentrent dans le rang, ils deviennent soumis. On leur explique que les choses peuvent très bien, et beaucoup mieux, se faire «en coulisses», qu'ils avanceront plus vite comme cela.

Les plus récalcitrants sont écartés, on divise pour régner.

Je sais qu'il y en a parmi vous - et assurément dans l'autre Chambre - qui s'offusqueront de tels propos. Vous vous empresserez d'énumérer les programmes gouvernementaux à l'appui des communautés de langues officielles, et les millions de dollars qui s'y rattachent. Vous nous parlerez des succès de cette francophonie, de l'Année de la Francophonie proclamée par ce gouvernement, du Sommet de l'Acadie à Moncton, des Jeux de la Francophonie prévus en l'an 2001, ici même, dans la région de la capitale nationale. On se vantera d'avoir célébré le dixième anniversaire de l'amendement à la Loi sur les langues officielles, qui donnait au gouvernement fédéral une responsabilité accrue envers ces minorités.

J'applaudirai et je vous dirai: «Bravo!» Évidemment que ce sont de belles et bonnes initiatives. Mais je refuserai de rentrer chez moi, imbu de la satisfaction du devoir accompli, comme d'autres dans ce Parlement sont tentés de le faire. Parce notre véritable devoir reste encore à faire, parce que du pain et des jeux, il y en aura toujours pour apaiser la populace. Mais aucun gouvernement ne pourra jamais se glorifier de manifestations de ce genre, quand, dans les tranchées, des francophones d'une bravoure implacable continuent de lutter contre des forces qui cherchent à les anéantir.

Vous pouvez nous faire toutes les plus belles fêtes du monde, cela ne réussira jamais à masquer la vérité d'un gouvernement qui refuse d'appuyer ces francophones, alors que c'est sa responsabilité constitutionnelle de le faire.

Vous ne me verrez pas applaudir quand je vois que même l'article 23 de la Charte, garantissant l'enseignement en français pour les minorités francophones, est encore bafoué, malgré des jugements successifs des cours de justice, dont la Cour suprême, confirmant les droits qui s'y rattachent. De même, quand près de la moitié des 260,000 enfants canadiens ayant un droit constitutionnel à cette éducation en français sont privés de ce droit, et étudient dans des écoles anglaises ou d'immersion. Même au niveau scolaire, les luttes ne sont pas encore finies.

(1800)

Vous n'entendrez pas de félicitations de ma part lorsque je vois les gouvernements provinciaux s'inspirer du désengagement du fédéral envers les minorités pour se livrer à des délestages de responsabilités qui éliminent ou menacent les acquis des francophones.

Vous ne pourrez jamais changer la triste réalité que, plus de trente ans après l'adoption de la Loi sur les langues officielles, l'égalité des chances, l'égalité des peuples, réelle ou perçue, est loin d'être réalisée.

Vous ne pourrez jamais nous faire oublier que, plus de trente ans après que la Commission Laurendeau-Dunton ait recommandé l'instauration du bilinguisme officiel pour les gouvernements du Nouveau-Brunswick, de l'Ontario et du Manitoba, une seule de ces provinces a accepté de le faire. La plus grosse, la plus puissante, la province qui abrite la moitié de tous les francophones de l'extérieur du Québec refuse encore de reconnaître les droits de la minorité franco-ontarienne dans la Constitution.

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, je regrette de devoir interrompre le sénateur Rivest, mais il est 18 heures. Est-ce le désir de la Chambre que je ne voie pas l'horloge?

Des voix: D'accord.

Le sénateur Rivest: Quant au Manitoba, il aura fallu la Cour suprême pour lui faire comprendre qu'elle gouvernait depuis presque un siècle dans l'illégalité totale, sans compter les incidents disgracieux de 1984, où la hargne de certains politiciens provinciaux se déchaînait contre les Franco-Manitobains.

Nous devrions rougir de honte à penser qu'au moment où je vous parle, une Franco-Ontarienne du nom de Gisèle Lalonde, avec une petite équipe, sillonne cette immense province en auto, pour gagner des appuis à la cause de l'enchâssement des droits des francophones de l'Ontario dans la Constitution. Le ministère du Patrimoine canadien lui a donné l'argent pour le faire, me direz-vous? Ah! Vraiment. Je défie qui que ce soit dans ce Parlement d'accomplir ce que Mme Lalonde est en voie de réussir avec un budget de 35 000 dollars. Et vous voudriez qu'on se mette à genoux devant cela. Vous voudriez que les Franco-Ontariens soient éternellement reconnaissants, quand nous leur donnons des bouchées de pain pour faire notre travail!

Parce que n'est-ce pas là notre responsabilité? Particulièrement nous, membres de cette Chambre liée constitutionnellement à la défense des intérêts des moins puissants, des plus vulnérables, de ceux et celles qui n'ont pas de voix. Ne serait-ce pas à nous d'aller livrer le message de la francophonie partout au Canada?

Le montant de la subvention accordée par le ministère du Patrimoine canadien au mouvement Opération Constitution est tellement risible qu'on serait tenté de croire qu'on l'a donnée en souhaitant qu'il échouerait. C'était mal connaître les gens de la trempe de celles et de ceux qui ont choisi de porter le flambeau, envers et contre tout.

Cette subvention n'est-elle pas, cependant, tristement symbolique des coupures du fédéral dans l'argent accordé aux communautés de langues officielles? Où est passé le principe de l'équivalence, pourtant consacré par la Cour suprême dans l'arrêt Mahé? Comment peut-on espérer que les communautés puissent se développer quand elles ne peuvent bénéficier des programmes de l'État canadien, autant qu'en bénéficie la majorité?

Pourtant, poursuivant leur trajet d'adversité, les francophones du Canada continuent de s'élever, comme des cerfs-volants, contre le vent, contre tous les vents. Ces gens-là, comme il s'en trouve encore des centaines en Ontario français, en Acadie, au Manitoba et dans toutes les régions du pays, ont une seule cause à coeur: la cause du Canada.

Ils ont cru ce gouvernement, lorsqu'il leur a dit qu'ils étaient des citoyens égaux, des citoyens à part entière, que le Canada était aussi le pays des francophones, qu'ils y avaient pleinement leur place. Ils l'ont tellement cru que c'est cette conviction profonde qui continue de les porter au combat aujourd'hui, dans l'espoir que, tôt ou tard, leurs dirigeants se joindront à eux, en vrais alliés et non en faux mécènes, pour finir l'oeuvre qu'ils ont oublié d'achever.

Le temps est venu pour nous, dans ce Parlement, d'ajouter toutes nos voix, tous nos efforts, tous nos moyens à ceux et celles qui, par la force des poignets, réussissent encore et toujours à défier l'histoire. Ce peuple refuse de mourir.

Honorables sénateurs, je vous demande humblement de lire le rapport que j'ai déposé plus tôt aujourd'hui. C'est un travail sérieux, sincère, sans prétention et dénué de partisanerie. Je vous demande de garder l'esprit ouvert en parcourant ces lignes, de garder vos yeux et vos coeurs ouverts.

Certains passages, comme certains des propos que je tiens aujourd'hui, ne feront pas votre bonheur. Ce serait tellement beau s'il pouvait en être autrement. Mais nous ne pouvons nous féliciter de l'état des choses. Nous pouvons cependant agir. Nous devons agir.

Je vous demande de réfléchir sur ce passage, à la page 38 du rapport, qui se lit comme suit:

Il est étonnant de constater que, en dépit de la couverture médiatique, qui cherche bien plus à déclencher et à nourrir la controverse qu'à rapporter les bonnes nouvelles, l'opinion publique canadienne, comme le constate une analyse du professeur Stacy Churchill, est demeurée fortement en faveur des politiques sur les langues officielles au cours des 25 à 30 dernières années. Son analyse l'a aussi conduit à la conclusion que les administrations gouvernementales ont lamentablement échoué dans leurs tentatives en vue d'informer les Canadiens de cet appui.

C'est le secret le mieux gardé au pays. Les anglophones, dans une proportion de plus de 75 p. 100, croient dans l'égalité des deux peuples fondateurs. Soixante-deux pour cent des anglophones croient que d'avoir des communautés de langues officielles partout au Canada est un grand avantage pour le pays.

Qu'est-ce que cela nous dit? À mon avis, cela nous dit non seulement que les Canadiens de langue anglaise acceptent que les francophones aient leur place parmi eux, avec leurs institutions et leurs services publics, mais que la seule présence de ces communautés minoritaires au sein de leur société fait aussi partie de leur propre identité canadienne. Être Canadien pour eux signifie, entre autres, accepter qu'autour de nous, d'autres Canadiens choisiront de vivre dans l'une ou l'autre des langues officielles. C'est normal.

Cela signifie aussi que les Canadiens comprennent la différence entre le bilinguisme individuel et la dualité linguistique. Personne ne demande à quiconque d'apprendre et de parler les deux langues officielles, quoique nous puissions supposer que dans un monde parfait, ce serait évidemment l'idéal. La dualité linguistique signifie que tout citoyen canadien, qu'il soit francophone ou anglophone, peut se retrouver dans son pays, qu'il peut naître, vivre et mourir dans sa langue, qu'il a ses institutions et qu'il peut être servi dans sa langue, qu'il trouve aussi normal qu'un Canadien puisse être et vivre à l'intérieur ou à l'extérieur de sa majorité linguistique et partager l'ensemble de l'expérience canadienne avec l'ensemble de ses concitoyens.

Cela veut dire aussi, honorables sénateurs, que, comme c'est souvent le cas, la classe politique canadienne est décollée de la réalité du peuple canadien. Que ce peuple n'attend qu'un geste, une parole, une initiative, une once de courage venu d'ici pour commencer à célébrer la fin de nos guerres et de nos inquiétudes linguistiques.

Je vous demande, honorables sénateurs, de relever ce défi qui se pose à l'État canadien.

Je vous demande de reprendre le flambeau de ces héros de la francophonie canadienne qu'ont été l'ex-secrétaire d'État, M. Gérard Pelletier et l'ex-premier ministre du Nouveau-Brunswick, Richard Hatfield et ceux qui le sont encore, comme notre collègue dans cette Chambre, le sénateur Jean-Robert Gauthier, d'Ottawa-Vanier.

La conjoncture est aujourd'hui favorable à une reconnaissance puissante, résolue et irréversible de la francophonie canadienne. Le temps est venu de passer aux actes, de déclarer et de déclencher une volonté nationale en faveur de l'égalité des francophones et des anglophones du Canada.

Ex-ministre des Finances de ma province, je serais le dernier à suggérer que nous retournions aux folles dépenses qui nous ont donné les déficits d'un passé encore trop récent, mais le gouvernement est présentement en position financière idéale pour recommencer à investir dans la construction du réseau institutionnel qui donnera à ces communautés une chance égale de réussir. Car c'est une oeuvre à finir que nous avons laissée à l'abandon.

Quant à moi, je crois que cet investissement dans notre richesse francophone en est un qui n'aurait jamais dû être réduit ou freiné.

De plus en plus, tous les Canadiens constatent la rentabilité du bilinguisme et du fédéralisme. Ils ont vu de leurs yeux, à Moncton, récemment, comment une réputation d'ouverture et de compétence linguistiques leur ouvrait des portes autrefois fermées sur le monde, particulièrement sur l'Europe, cette superpuissance économique en devenir. Ils ont entendu le président de la France vanter un Canada tolérant, plutôt que d'inciter les francophones du Québec à la séparation - ce qui était jusque-là le seul souvenir que plusieurs d'entre eux avaient d'un tel visiteur.

De plus en plus de Canadiens de la majorité, aussi, s'inquiètent de l'érosion culturelle et linguistique de leurs compatriotes minoritaires. Ils comprennent qu'un Canada sans ses communautés francophones n'est plus le pays dont ils sont si fiers. On a vu, dans la cause de l'hôpital Montfort, par exemple, des alliances inédites et inespérées entre la communauté franco-ontarienne et des membres de la communauté anglophone de cette province et d'ailleurs au Canada.

Qu'attendons-nous pour comprendre que le peuple nous a dépassés? Qu'attendent les gouvernements de ce pays et des provinces pour comprendre que les nouvelles générations ne veulent plus de guerres linguistiques destructives, qu'il est temps de passer à autre chose, de bâtir avec confiance sur les bases que nous avons jetées il y a trente ans?

Rappelons-nous seulement pourquoi, au cours des tumultueuses années 1960, la Commission Laurendeau-Dunton parlait de la crise la plus grave de notre histoire. C'est qu'ils avaient compris que le pays était au bord de l'éclatement, qu'il fallait poser des gestes radicaux, et vite, si l'on espérait voir le Canada survivre aux déchirements qui le menaçaient. Le Québec était alors balayé par la Révolution tranquille. Le premier ministre Jean Lesage lançait le cri d'affirmation: Maîtres chez nous. De plus en plus de ces gens du Québec qui s'étaient toujours identifiés comme Canadiens-Français allaient maintenant se dire Québécois d'abord, sinon exclusivement.

Les Québécois n'accepteraient plus d'être minorisés au Canada, ils deviendraient majoritaires chez eux. De la même façon, ils concédaient qu'ils n'auraient jamais leur pleine place dans ce Canada où leurs compatriotes avaient subi tous les affronts, là où l'éducation en français était encore illégale.

A-t-on oublié ce qui nous a menés à la situation que nous vivons aujourd'hui? Les premiers ministres provinciaux comprennent-ils que cette intolérance historique de leurs propres gouvernements est une des sources du séparatisme québécois? Le gouvernement d'Ottawa comprend-il qu'au-delà de toutes les savantes stratégies, des plans A, B ou C contre ces méchants séparatistes, il faudrait peut-être commencer par le commencement? Combien de souverainistes rêvent d'un pays tout simplement parce qu'on n'a jamais voulu leur donner celui qui leur revient, parce qu'on a tué leur rêve premier à coups de politiques assimilatrices?

Honorables sénateurs, je ne vous demanderai pas de revenir en arrière. Cependant, je vous demande de vous souvenir, d'alimenter votre sagesse et votre réflexion de perspectives historiques. Le rapport que je vous soumets contient 42 recommandations, dont 10 recommandations principales qui forment le cadre du plan de redressement que nous vous proposons pour les communautés francophones et acadiennes du Canada. La tâche semble énorme, le défi insurmontable, mais il est à la mesure des gens de ce pays. Il est à votre mesure, à notre mesure. C'est un projet de société emballant, positif et généreux.

Le premier pas de ce long voyage est aussi le plus difficile parce que c'est celui du courage. Le courage d'oser aller là où personne ne veut aller. Le courage de dire les choses dont personne ne veut parler. Le courage de poser les gestes que d'autres vont dénoncer. Nous avons le devoir de donner l'exemple. Nous avons le pouvoir de changer des choses. Mais sans le courage de le faire, tout cela, tout ce que nous représentons, tout ce beau décor qui nous abrite ne veut rien dire. Quand les murs du Parlement sont devenus ceux du silence, du silence sur le sort des plus vulnérables, nous avons perdu notre raison d'être.

J'ai confiance que vous m'écouterez. J'ai confiance que vous agirez et qu'ensemble, nous parviendrons à compléter cette magnifique oeuvre inachevée qu'est le Canada.

(Sur la motion du sénateur Kinsella, le débat est ajourné.)

(Le Sénat s'ajourne au mercredi 17 novembre 1999, à 13 h 30.)


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